i'll be there for you when the rain starts to pour

Je me souviens de cette époque où on passait par la fenêtre de nos chambres respectives pour se retrouver sur l'escalier en acier qui tenait lieu d'issue de secours. On étit jeunes, stupides, insouciants et on n'était guère effrayés par les cris de nos mères lorsqu'elles constataient que nous avions une fois de plus disparus. On était petits en ce temps-là, alors la peur de nous voir tomber de là-haut les prenait souvent. Nous n'étions pas inconscients, nous ne désirions qu'une seule chose : nous voir pour nous parler de choses insignifiantes. A neuf ans, j'avais commencé à comprendre certaines choses de la vie. Par exemple, lorsque mes joues se teintaient de rouge, c'était que la personne qui me faisait face me plaisait. Ma mère m'avait expliquée cela en riant. Avec lui, ça le faisait constamment mais je m'évertuais à penser qu'il n'était que mon meilleur ami et que jamais rien d'autre ne pourrait se mettre entre nous. Puis il a changé d'immeuble et j'ai compris que la vie, c'était pas vraiment comme je le voulais. Ni comme personne ne le souhaitait. Elle n'en faisait qu'à sa tête. Et je le constatais encore aujourd'hui, assise dans ma salle de bains à attendre ce stupide résultat.

Avis de Julie, amie proche de Luke.
« Si on avait prévu qu’ils se rencontrent tous les deux ? Jamais. En tout cas, pas dans notre bande. On était jeunes vous savez, et surtout écervelées. Mais pas elle, vous voyez. Elle avait la tête sur les épaules, ne se laissait avoir par personne. Encore moins les mecs dans son genre. Elle était loin d’être stupide pour une fille de son âge. D’habitude, les sourires en coin du jeune homme nous liquéfiaient toutes. C’était inratable. Et il le savait, et il en jouait. Mais Luke, c’était différent. Elle était différente. Elle a juste répondu à ses excuses par un pas grave avant de continuer sa route. Pour elle, il semblait ne pas exister. Comme elle l’avait dit, nous avions prévu une journée pour nous dans ce centre commercial, pas pour se faire draguer par un jeune homme insignifiant. Alors, on a juste fait comme s’il ne s’était rien passé. A la fin de la journée, on les a revus. Mais cette fois, il n’a pas juste fait semblant de lui rentrer dedans. Non. C’était si gros que je suis certaine que Luke a immédiatement compris ses avances, elle a juste fait mine de rien. Il nous a proposé un verre à toutes, même s’il ne fixait qu’elle, et elle a simplement dit de sa voix limpide et claire. « Ecoute, c’est pas que tu m’embêtes, mais il faut que je rentre. Peut-être une prochaine fois. » J’ai cru voir sa mâchoire se décrocher, mais il a vite repris ses idées et il l’a attrapée par la poignée. J’ai cru qu’elle allait le gifler vu le regard qu’elle lui a lancé lorsqu’elle sa peau toucher la sienne. Luke, c’est la fille intouchable, elle parle, elle rit, mais personne ne peut vraiment la connaître, personne ne peut vraiment l’aborder. Encore moins la toucher. Comme pris d’un choc électrique, il a cessé son étreinte et a juste dit « S’il te plaît, ça ne prendra pas longtemps. » On sait tous et toutes ce qu’il voulait. Se la faire, purement et simplement. S’afficher à son bras parce qu’elle était Luke. La fille qui ne sortait jamais avec personne mais qui était adulée de tous. Mais, il semblait différent, son ton, sa voix. D’accord c’était Luke, et il aurait tout fait pour l’avoir, on le savait tous, mais tout de même, au point de la supplier. Ce n’était réellement pas son genre. Elle nous a jetées un coup d’œil pour savoir si nous étions d’accord, parce qu’en plus d’être une des filles les plus désirées du lycée, Luke avait le sens de l’amitié. On a toutes hoché la tête comme des débiles, parce qu’être vues avec ces jeunes hommes feraient monter notre côte de popularité d’un cran. Nous étions des adolescentes et ça comptait vraiment, vous savez, être populaire.
C’était juste fascinant à regarder. Bien évidemment, on s’intéressait aux hommes qu’on avait face à nous, on discutait avec eux. Mais nos regards, à tous et toutes, étaient rivés sur eux. Ils étaient si… Si parfaits ensemble. On observait Louis, car oui, en plus d’être splendide, il était français, qui faisait son manège, tout sourire, tout doux. Et Luke qui riait aux éclats, de son rire cristallin. On avait l’impression qu’il lui faisait la cour, et le pire, c’est que ça semblait fonctionner. Elle savait jouer de ses charmes, si vous voyez ce que je veux dire, même nos partenaires avaient l’air de s’enivrer de son parfum quand elle secouait légèrement sa chevelure brune. Le temps défile, plus vite qu’on le croit. Et ce qui ne devait pas prendre longtemps, dure des heures. Finalement, elle se lève et fait un signe de la main à la troupe de mâles en rut qui lui répond sans attendre. Louis se relève à une vitesse hallucinante, et ce qui nous choque encore plus, c’est lorsqu’il dépose un baiser sur sa joue et qu’elle le laisse faire sans rien dire. C’est comme ça que c’est parti leur histoire. Ils passaient tout leur temps ensemble au lycée. Ce devait être la première fois qu’on la voyait comme ça avec un homme. On avait beau la prévenir qu’il voulait se servir d’elle, elle nous répétait qu’elle gérait, bien qu’on avait peur que la situation lui échappe. Mais elle restait Luke, et la preuve en était encore aujourd’hui, ils étaient ensemble. On avait déjà dix-huit ans. »

moment de vie number one

J'avais une famille plus qu'aimante, et j'étais fille unique. Ils avaient le talent de me préserver des malheurs du monde extérieur, même adolescente, rien ne semblait m'arriver de mal parce qu'ils étaient là. Mais il fallait que ça arrive un jour, c'était inévitable, comme je leur répétait souvent : Ils ne seraient pas toujours là. Mais ce sont des parents, on ne peut pas leur en vouloir de protéger leur enfant. C'est le jour où je suis rentrée du lycée, et que je n'ai pas entendu le son habituel du journal télévisé, que j'ai compris que quelque chose clochait. Personne n'était là, c'est bien simple. J'étais seule. Quand on a dix-sept ans, la première chose qu'on fait, c'est sauter de joie. La maison pour nous tout seul, c'est tout ce dont on rêve. J'ai pris le téléphone et j'ai composé le numéro de mon père qui aurait dû être ici, affalé devant la télévision, son apéritif à la main. J'entends sa sonnerie, je la reconnais, c'est moi qui l'ai programmée. Alors je suis le bruit, encore et encore, jusqu'à arriver sur la table de la cuisine. Et là je me dis que quelque chose cloche vraiment. Mon père ne sort jamais sans son cellulaire. Alors nouvelle tentative, mais interlocuteur différent. Il suffit d'attendre trois sonneries et j'entends la voix de ma génétrice. Elle a beau me connaître par coeur, c'est réciproque. Et je sais à sa voix qu'elle tente de me dissimuler quelque chose.

« Maman, vous êtes où ? » Un blanc suit mes paroles, comme s’il y avait besoin d’un temps de réflexion. Depuis quand réfléchissait-elle pour répondre à ce genre de questions ? La panique a commencé à me prendre. Dans les tripes. Mon cœur battait à mille et je n’en pouvais déjà plus. « Maman, réponds putain ! » En entendant mon injure, elle semble sortir de sa torpeur. Sa voix est chevrotante et m’effraie soudainement. [color:e601=#6CB34E ] « S’il te plaît Luke, ne parle pas comme ça. Je suis… Ecoute, je ne voulais pas te le dire avant, pour ne pas t’alarmer. » Je n’avais plus quatre ans, je n’étais plus cette gamine qu’elle devait protéger encore et toujours. J’avais grandi et il était peut-être temps qu’elle s’en rende compte. Je ne lui répondis pourtant pas, elle avait l’air choqué, et je ne voulais pas me disputer avec elle à propos de ça dans un moment comme celui-là. Je préférais lui laisser du temps. Je me mettais déjà à préparer un sac que j’emmènerais avec moi pour les rejoindre. [color:e601=#6CB34E ] « Luke, viens à l’hôpital. » Ces cinq petits mots sont le début de la destruction de ma jeunesse. Je raccroche immédiatement, je ne veux pas perdre du temps dans des discours inutiles. Elle doit le savoir, que je fulmine à l’intérieur qu’elle ne m’annonce que cela maintenant. Je suis sa fille merde ! Je cours presque jusqu’à ma voiture, et je crois que c’est la première fois que je roule aussi vite. Je la reconnais au loin. Ses cheveux bruns qui tombent sur ses épaules, son tailleur. C’est bien ma mère, mais quand je me rapproche d’elle, je ne la reconnais pas. Elle n’a pas ce sourire bienveillant et chaleureux qui la caractérise, ses yeux qui pétillent d’une lueur de joie. Son front est plissé par l’inquiétude, des larmes bordent ses yeux. Et quand elle me voit, elle prononce un [color:e601=#6CB34E ] « Oh Luke ! » empli de désespoir avant de s’effondrer dans mes bras. Je ne l’ai jamais vu comme ça. En fait, je n’ai jamais vu ma mère triste pour quoi que ce soit, à part les choses de la vie, genre la faim dans le monde, les catastrophes naturelles. Mais jamais dans cet état. Je caresse doucement ses cheveux, sans savoir quel est l’élément déclencheur de cette crise, je murmure à son oreille des mots qui n’ont aucun sens. Je veux simplement la réconforter. Au bout d’un certain temps, je constate qu’elle s’est un peu calmée alors je me recule et relève son visage. Ma voix est presque dure pour la situation, tranchante. Mais il faut que je sache. Même si je m’en doute. « Où est papa ? » Et les larmes ont repris de plus belle. Cette fois mêlées aux miennes.

Nous sommes restées des heures dans cet hôpital à attendre qu’un médecin vienne nous parler. Il paraît qu’il faisait tout ce qui était en leur pouvoir pour le sortir du coma. Je n’y croyais pas. Si tel était le cas, on serait en train de rire avec lui dans sa chambre et non pas assises sur des chaises inconfortables. J’avais pu le voir, lui caresser la main, lui dire qu’on avait besoin de lui. Que j’avais besoin de lui. Mais on était toujours là à attendre. Finalement, je me suis levée et j’ai téléphoné. A Louis. Je l’ai réveillé parce qu’on était en plein milieu de la nuit, mais je m’en foutais complètement. J’avais juste besoin d’air. Et cet air, je le cueillais ailleurs. J’ai parlé, il a écouté. J’ai parlé pendant peu de temps, je lui ai dit que j’étais à l’hôpital, que mon père avait eu un problème mais que tout allait bien. C’est à ce moment-là qu’il est arrivé. Vêtu de sa blouse blanche. Il était inquiet, il semblait l’être. Mais il était médecin. C’était juste un masque. Ce genre de choses, il en disait tous les jours. J’ai murmuré à Louis d’attendre et je me suis placée à côté de ma mère. « Je suis désolé, mais nous n’avons rien pu faire, votre mari vient de nous quitter. » En seize mots, il venait de me briser sans le savoir. Mon téléphone a explosé au sol dans un fracas assourdissant. Mais je m’en foutais. Je pleurais simplement, avec ma mère. Je pleurais ma jeunesse qui s’envolait, je pleurais mon père qui s’envolait. Je pleurais simplement. Nous sommes restées encore un moment. Parce qu’on ne pouvait pas bouger. On était juste figées dans une torpeur, dans un silence bercé par le seul bruit de nos sanglots. Puis un bras nous a encerclées toutes deux, et j’ai relevé le visage. Et j’ai vu Louis. Et j’ai pleuré encore.

Avis du meilleur ami de Louis.
« Quand il l’a appris ? Haha. Je crois que la première chose qui lui est venu à l’esprit, c’est de se tuer. En même temps, j’aurais sans doute eu la même idée en apprenant que ma copine attendait un enfant. Encore que, le plus rassurant, c’est qu’il était de lui. Je me souviens encore de la blancheur de sa peau lorsqu’il est venu me voir pour m’en parler. Au début, j’ai ri, je ne le prenais simplement pas au sérieux. Il s’est affalé sur mon canapé et s’est servi un verre d’alcool. Là j’ai compris qu’il ne rigolait simplement pas. On a parlé pendant des heures, et il ne s’arrêtait pas de boire. Je savais qu’il tenait bien l’alcool, mais quand même, cette nouvelle avait l’air de le choquer énormément. A croire qu’il ne savait pas que cela pouvait arriver. Il m’a certifié qu’il la ferait avorter, que de toute manière à notre âge, nous n’étions pas prêts à assumer des gosses. J’ai simplement pensé que c’était lui qui ne l’était pas, et que Luke, bien qu’elle n’ait que dix-huit ans, serait une très bonne mère. Elle avait la tête sur les épaules, avait l’esprit clair pour une fille de son âge. Bien sûr, elle savait s’amuser, mais le décès de son père lui avait donné un certain sens de la responsabilité, qui s’était de plus en plus aiguisé. J’ai simplement hoché la tête, parce que je ne me voyais pas de lui dire ça. Et je l’ai regardé se détruire un peu plus. Parce que c’est ce que font les meilleurs amis. Mais je voulais lui foutre une baffe, lui dire de se réveiller, et qu’il ouvre les yeux sur la réalité. J’étais certain que Luke accepterait d’avorter, même si ce n’était pas ce qu’elle désirait. Parce qu’elle l’aimait, et qu’elle voulait lui faire plaisir. Qu’importe ce que cela pouvait lui coûter. Zadig ne s’en rendait simplement pas compte, sans doute trop égoïste, il croyait qu’elle serait d’accord avec lui. D’ailleurs, c’est ce qui est arrivé, elle a avorté. Et c’est à partir de ce moment-là qu’ils ont bataillé pour garder la tête hors de l’eau ensemble. J’avais vu Luke peu après son avortement, et j’avais constaté qu’elle était dévastée bien qu’elle tentait ne pas le montrer. Elle se sentait coupable d’avoir tué un être qui n’avait même pas pu voir le jour, et j’avais tenté de l’épauler, mais elle ne cessait de répéter que tout allait bien. Quand j’en parlais à Zadig, il me certifiait que c’était vrai, à croire qu’il ne connaissait pas sa copine. Mais je le connaissais également, et je voyais qu’il ne voulait pas avouer qu’il n’avait pas su répondre à ses attentes. Il n’arrêtait pas de répéter qu’il aurait dû l’épauler plutôt que de la forcer, et moi je lui répondais que c’était trop tard en baillant. Parce que c’était vrai. Il n’allait pas la faire retomber enceinte juste pour dire qu’il était un bon petit-ami qui parlait posément avec sa copine pour donner son avis, et qui ne forçait jamais rien à arriver. C’était ainsi, il ne pouvait rien changer à cette situation.

Ils s’évertuaient tout deux à faire en sorte que leur couple continue de marcher, mais parfois je devais accueillir un Zadig en rogne pour la nuit parce qu’ils ne voulaient pas passer la nuit ensemble. Au début, je m’étais dit que cela leur passerait. Qu’ils arriveraient à traverser cette épreuve comme ils avaient traversé toutes les autres. J’avais tord. Je la croisais, ravagée par le doute et la souffrance qu’elle tentait de cacher sous son sourire toujours aussi éclatant. Elle désirait rayonner comme elle l’avait toujours fait, et souvent elle parvenait à jouer ce rôle. Mais pas avec. Je la connaissais bien trop désormais. Parfois, alors que nous dînions avec des amis, elle se mettait soudainement à pleurer, sans que personne ne sache pourquoi, et elle quittait la table en s’excusant des milliers de fois, suivie quelques secondes plus tard par Zadig qui essayait de la réconforter, tout en sachant qu’il ne pouvait rien faire. Parce que leur couple se cassait la gueule, qu’ils étaient tous deux spectateurs de cela. Et parce que cela le bouffait de l’intérieur.

Alors il s’est barré. Il est venu me voir un matin, et il m’a dit « Je me tire. » Je ne l’ai pas cru. Comme s’il allait l’abandonner là à son triste sort ? Mais il l’a fait. Il m’a dit qu’il en avait marre de les regarder se détruire, qu’il préférait partir, en croyant que lorsqu’il rentrerait, tout serait rentré dans l’ordre. Il rêvait le pauvre homme. Je lui ai répété maintes et maintes fois, mais il ne me croyait pas. Alors je l’ai simplement laissé partir Dieusaitoù en lui promettant de ne pas dévoiler à Luke qu’il n’était pas parti pour un stage. Il paraît que c’est ça l’amitié. Pourtant, ça me démangeait. Je la voyais sans cesse répéter qu’il lui manquait, qu’un an et demi sans lui, ce serait long, mais qu’elle avait accepté parce que c’était pour son épanouissement personnel dans son travail. Et j’avais envie de crier « MENSONGE », parce que voilà ce que c’était. Il était sans doute en train de se dorer la pilule au soleil, pendant qu’elle restait seule dans son lit à pleurer l’être aimé qui s’était barré sans penser une seule seconde à elle. Vous pensez sans doute que je suis méchant, mais vous vous trompez, je suis juste très réaliste. Vous n’étiez pas là, vous ne la croisiez pas, vous ne pouvez pas savoir.

Puis tout a changé d’un coup. Elle semblait ragaillardie. Mais dans le mauvais sens du terme. Elle a repris confiance en elle, elle souriait de nouveau. Mais jamais à moi. Ni à aucun des amis de Zadig d’ailleurs. Elle avait une lueur malsaine dans le regard. Et j’avais beau appeler Zadig pour lui en parler, il était serein, disait que tout se passait pour le mieux entre eux, qu’il avait pris la bonne décision et que Luke se remettait peu à peu de son absence. Mais il avait tout faut, vous savez. Il l’avait prise pour une conne, et elle était très loin d’en être une. Elle nous l’a montré une fois de plus. J’ai entendu frapper deux coups à ma porte d’entrée, alors j’ai ouvert la porte, sans savoir que je venais d’inviter une furie à rentrer chez moi. Elle semblait calme, je lui ai proposé de s’installer, de boire un verre. Elle a accepté, le sourire aux lèvres, puis je lui ai demandé ce qui l’amenait ici, et c’est là qu’elle a explosé. Elle avait simplement tout découvert de A à Z, qu’il n’était pas à un stage pour son travail, qu’il était simplement parti parce que c’était un lâche. Elle a hurlé que j’en étais un aussi parce que je le couvrais alors qu’il ne le méritait pas. Qu’elle avait failli perdre un an et demi à attendre et à aimer un homme qui se foutait d’elle, mais que maintenant c’était terminé. Sa crise a duré longtemps. Je crois qu’elle voulait me faire comprendre qu’elle avait souffert, et qu’elle souffrait encore. D’ailleurs, les larmes qui bordaient ses yeux le montraient. Finalement, elle s’est calmée et a murmuré quelques mots qui me firent frémir. « Maintenant, tu vas faire quelque chose pour moi. Après tout, tu me dois bien ça. » Je lui ai tout caché. Je ne devais pas dire à Zadig qu’elle avait changé d’appartement, qu’elle avait découvert le pot aux roses, et surtout qu’elle l’avait barré de sa vie. Cette dernière partie, je ne la croyais pas vraiment. Elle l’aimait toujours, ça crevait les yeux. Encore aujourd’hui. Mais elle ne voulait plus perdre son temps à vingt et un ans avec un con qui ne s’occupait que de ses sentiments. J’ai donc tout gardé pour moi, et à son retour, j’ai fait semblant d’être aussi surpris que lui, alors que je voulais simplement lui dire « Je t’avais prévenu. » Après tout, c’est ça l’amitié. »

[size=24]moment de vie number two

Voilà un an et demi environ que je vivais sans lui, sans sa présence au quotidien à mon côté. C’était dur, plus que cela en fait. Je survivais plus que je vivais. Je retardais toujours l’échéance d’une rencontre avec ma mère, en prenant pour excuse le travail, afin qu’elle ne voit pas les dommages qu’avait eu cette histoire sur sa fille. Tout d’abord ravagée par l’avortement dont je ne m’étais toujours pas remise, me voilà à gémir de son absence. Je me trouvais pitoyable et je détestais être dans cet état, mais c’était inévitable, surtout lorsque je me retrouvais seule dans mon appartement. Alors pour éviter cela, je sortais. Je sortais le jour, je sortais la nuit. Je draguais, je flirtais, je couchais. Ce qui ne me ressemblait pas tellement. Mais peut-être qu’il était temps d’opérer un changement, bien que je n’y croyais pas trop. J’étais dans l’âge où il fallait commencer à se poser, à se trouver, à fonder une famille. J’aurais pu le faire s’il ne m’avait pas ordonné de le tuer. Comment avais-je pu me laisser faire ? Ma seule raison était l’amour. S’il fallait que j’avorte pour le garder, je le faisais, parce qu’il était tout. Pourtant, ça n’avait juste pas marché. Et me voilà errant dans les rues de Boston à la recherche d’un quelconque divertissement pour oublier cette peine. Mes pieds savaient déjà où ils allaient, d’ailleurs, je poussai bientôt la porte d’un bar où je pourrais noyer mon chagrin. C’est ce que je fis dans les règles de l’art. Je savais boire et je ne le faisais pas jusqu’à ce que je ne puisse plus mettre un pied devant l’autre, ce n’était pas mon genre. Puis j’avais croisé son regard. Ce sont des choses qui se font simplement, on n’a pas besoin de parler pendant trois heures pour savoir qu’on finira dans le lit de l’un ou de l’autre. C’est juste naturel. J’ai lu dans ses yeux la même détresse que moi, mais je n’ai pas demandé pourquoi. On s’en fichait autant l’un que l’autre, de ce que ressentait l’autre, tout ce qu’on voulait c’était oublier pendant un court instant. Et s’il me le permettait, alors je voulais bien faire semblant de ne pas voir qu’il souffrait. On se retrouva bien vite dans son appartement, qui se trouvait, par hasard, dans le même immeuble que le mien, et nos vêtements ne mirent que très peu de temps à rejoindre le sol. On a couché ensemble, purement et simplement. En ne connaissant que le prénom de l’autre. Et c’est sans doute le lendemain matin qui m’a le plus surprise. D’habitude, j’étais celle qui disparaissais sans un mot, mais là je fus surprise par une voix claire, bien que légèrement endormie, qui m’ordonnait de ma rhabiller et de me barrer. Dans son ton, je reconnaissais Zadig, mais ce n’était pas lui. Je n’étais pas de celles qui s’imposent mais je détestais être jetée dehors comme si je n’existais pas. Pourtant, je m’exécutais. En trente secondes, j’avais enfilé mon jean ainsi que ma chemise, mais comme j’avais constaté habiter près d’ici, je tenais mes chaussures à la main. Je glissai mon corps par l’ouverture de la porte qu’il m’ouvrait bien gentiment, mais avant de partir, je prononçai quelques mots d’un ton ironique et légèrement méchant. « C’est surtout pas en baisant comme ça que tu vas me faire oublier quoi que ce soit. » Et voilà que je claquais la porte, digne, alors que ma fierté en avait pris un coup. Depuis je me complaisais à le détester, à siffler son prénom d’un ton haineux quand je le croisais dans la rue. Swann. Et lui, il tentait inlassablement de me remettre dans son lit. Ce qu’il ne comprenait pas, c’est que cela n’arriverait pas. Jamais.