Il faisait un froid à pierre fendre ce soir-là, et pourtant la silhouette frêle d’Ashleigh se tenait droite sur le toit de l’immeuble dans lequel elle venait d’emménager. Cela pouvait paraître fou, voire obsessionnel, qu’elle soit venue s’installer là où vivait son ex-presque-fiancé mais en réalité, c’était une pure et simple coïncidence. Elle était tombée sur une annonce d’une certaine Aëlys qui recherchait une colocataire et elle y avait répondu. Seulement elle savait très bien que cela n’en aurait pas l’air, alors elle avait préféré prendre les devants. Elle n’avait pas envie qu’ils se croisent pour la première fois dans l’ascenseur et qu’il croie à une revenante. Plus tôt dans l’après-midi, elle lui avait laissé une lettre dans sa boîte aux lettres. Elle espérait qu’il l’avait reçue.

C’était sur un papier à en-tête de British Airways.

« Luke,

J’imagine que tu ne t’attendais pas à recevoir de nouvelles de moi, ni-même que tu en avais envie. Je suis dans l’avion pour Boston, je vais terminer mon internat de neurologie à l’hôpital, le professeur Foremore a accepté de me prendre dans son service. Tu sais qu’ils ont le meilleur matériel de tous les Etats-Unis dans ce département. Mais je ne t’écris pas pour te raconter ma vie ; je ne veux pas que tu sois surpris lorsque tu me croiseras dans ton immeuble, car j’ai moi aussi trouvé un appartement là-bas. C’est un pur hasard, je ne l’ai pas fait pour te harceler. Mais j’aimerais vraiment te parler en tête-à-tête, ne serait-ce qu’une minute. Je comprendrais très bien que tu ne veuilles pas me revoir, mais je te le demande comme une faveur. Pourrais-tu me rencontrer le soir où tu recevras ce courrier, à huit heures, sur le toit de l’immeuble ?

Yours always,

Ashleigh. »

Enveloppée dans son mantea, elle se tordait nerveusement les mains dans ses gants de cuir, le regard fixé sur l’horizon et les lumières de Boston qui s’étendaient à perte de vue. Normalement elle aurait trépigné de froid, mais son esprit était bien trop occupé. Viendra, viendra pas ? Elle était sûre qu’il ne viendrait pas mais une partie de son cœur espérait qu’il se présente. Elle essayait de réfléchir à ce qu’elle pourrait lui dire, mais rien ne lui venait à l’esprit, rien ne lui semblait juste. Salut Luke, je t’aime encore. Salut Luke, ça gaze ?

Luke, pardonne-moi.

En allant chercher le courrier, j'étais loin de me douter que j'allais avoir pour ainsi dire des nouvelles d'une ex fiancée. J'avais espère qu'en partant pour Boston, je n'aurais plus jamais de nouvelles d'elle. J'avais eu tant de mal à tourner la page, à me remettre de cette relation que jamais je n'aurais imaginé avoir un jour des nouvelles d'Ashleigh. En voyant cette lettre, je pensais tout d'abord qu'elle avait un sacré culot de m'écrire maintenant, deux ans après mon départ. Je m'étais même dis que j'allais la jeter sans même prendre la peine de la lire. D'ailleurs, elle avait même fini dans la poubelle à papier de ma chambre. Puis j'étais finalement aller la chercher pour la lire. C'était peut être de la curiosité mal placée, mais j'avais besoin de savoir ce qu'il y avait dans cette lettre. Peut être Ashleigh s'excusait de son comportement de deux ans plus tôt ? - On peut toujours rêver -

Machinalement, je m'assis sur mon lit, la lettre entre les mains. Épiphanie et Léna n'étaient pas là, et c'était sans doute une bonne chose. Je dépliais doucement la lettre, et regarda rapidement ce qu'il y avait écrit. J'aurais reconnu cette écriture entre mille. Ashleigh avait une écriture douce, une façon bien à elle de faire certaines lettres. Je parcouru chacune des lignes qu'elle avait écrit plusieurs fois. Alors comme ça, elle venait terminer ses études de médecine à Boston. Quelle drôle de coïncidence, j'avais du mal à y croire. Mais il était vrai que la ville avait le meilleur service neurologie de tout le pays. Alors dans un sens je comprenais son choix. Je n'aurais pas été assis sur mon lit, je crois que je serais tombé à la renverse en lisant la suite. Ashleigh avait trouvé un appartement dans mon immeuble. Je commençais à me dire que ça faisait beaucoup trop de coïncidences. La lettre se terminait par une proposition de rendez vous. Pour le coup, là non plus je ne savais pas quoi faire. Y aller, mettre les points sur les i une bonne fois ? Ou attendre de la croiser dans un ascenseur ou dans les escaliers et retenir Epi' ou Jude de ne pas lui tomber dessus ?

Je m'étais au bout du compte décidé à ne pas y aller. Après tout, je n'avais pas spécialement envie de revoir Ashleigh, surtout si c'était pour qu'elle vienne mettre le bazar dans ma nouvelle vie. Je scrutais machinalement la pendule. Si je n'y allais pas ce soir, Ashleigh m'attendrait-elle un autre soir ? L'heure défilait et bizarrement le temps n'avait jamais été aussi long. J'en avais assez, il fallait que je sache ce qu'elle me voulait. ça me tracassait plus qu'autre chose. Rapidement je pris mon manteau et montais sur le toit. Elle était déjà là, à m'entendre, tournée vers les autres immeubles.

« Je ne m'attendais pas à avoir de tes nouvelles un jour. C'est ta mère ou la mienne qui t'envoie ? »

Bien sur, j'étais agressif avec elle. Je n'avais pas spécialement envie d'être gentil, de lui demander comment elle allait, alors que je n'en avais strictement rien à faire. Mais pour moi, il était clair que sa venue ici n'était simplement due à ses études.

« Je ne m'attendais pas à avoir de tes nouvelles un jour. C'est ta mère ou la mienne qui t'envoie ? »

Ashleigh se retourna prestement au son d’une voix qu’elle n’avait pas entendu depuis des années. Même si elle s’y était attendue, le ton de reproche qu’il y avait dans la voix de son ancien fiancé lui serra la gorge et le sourire qu’elle tenta d’afficher fut atténué par tous les regrets qu’elle portait dans son cœur. « Tu es venu. » fit-elle simplement mais un ton qui témoignait de sa reconnaissance, en enfonçant ses mains des poches. Elle fit un pas pour se rapprocher de lui mais pas plus car elle sentait bien qu’il ne voulait pas la distance entre eux se réduise plus qu’elle ne l’avait fait. L’Atlantique les séparait encore hier, elle devait lui encore quelques pas pour respirer. Elle avait un peu changé depuis qu’il était parti. De rousse incendiaire elle était devenue blonde sage, sa couleur naturelle, malgré le fait que sa mère n’ait cessé de lui répéter que ça ne mettait pas son visage en valeur, ni ses yeux. Mais petit à petit elle s’émancipait. C’était dur car sa mère était une véritable pieuvre. Luke avait changé, aussi. Il avait l’air encore plus sûr de lui qu’avant.


« Non, ma mère était complètement opposée à ma venue. Quant à la tienne… Nos deux familles sont en conflit. »

En effet, la mère de Luke et de toute la petite fratrie qui portait le nom de Maryan-Fields avait accusé la matriarche Hamilton d’avoir envoyé toute sa progéniture à Boston. La mère d’Ashleigh avait riposté en disant que Luke était un minable indigne de son rang et de là la guerre avait escaladé jusqu’à arriver au stade de guerre nucléaire. Autant dire que l’ambiance au manoir était délicieuse.

« Luke je… » L’héritière Hamilton baissa ses yeux bleus et se mit à fixer le bout des bottines hors de prix, « je voulais te le dire en face… » Elle réhaussa son regard et le plongea dans les yeux de Luke. Elle voulait le convaincre de sa sincérité. « Je suis désolée. » Elle ne lui avait jamais dit jusqu’à présent. « Je suis désolée de t’avoir forcé la main pour nos fiançailles. Je sais que ça ne justifie rien mais j’étais complètement sous l’influence de ma mère, enfin tu la connais… » Entendu à voix haute comme ça, c’était vraiment ridicule. Elle sortit les mains de ses poches et croisa les bras. « Enfin je voulais te montrer que j’avais changé. Je suis venue à Boston pour changer. »

Oui j'étais venu. Je m'en étonnais encore d'ailleurs. J'avais longtemps hésité avant de monter sur ce toit. Et j'avais peur de regretter ce geste. Au fond, je me demandais bien ce qu'Ashleigh me voulait après deux ans sans nouvelles. Cependant, je me demandais surtout si elle avait changé, si elle était toujours la petite Ashleigh dont j'étais fou amoureux. De toutes façons, même si elle avait changé j'étais capable de la reconnaitre entre milles. Elle était ce genre de fille que personne n'oublie. Ce genre de fille dont vous être fier de lui tenir la main alors que plein d'autres hommes souhaiteraient être à votre place. Mine de rien, Ashleigh avait de la chance que ce soit moi qui eu la lettre, parce que si elle était tombée dans les mains d'une de mes sœurs, la pauvre petite lettre aurait fini dans la poubelle située à coté des boites aux lettres.

« Non, ma mère était complètement opposée à ma venue. Quant à la tienne… Nos deux familles sont en conflit. » Première nouvelle. Ashleigh avait désobéit à sa mère. C'était donc un premier pas vers l'émancipation ! Quant au conflit entre nos deux familles, il ne m'étonna pas outre mesure. ça allait bien arriver un jour puisque nos deux familles se tiraient dans les pattes depuis mon départ. « Tu désobéis à ta mère toi maintenant ? C'est nouveau ça. Enfin, je doutes que ça dure bien longtemps, tu retourneras vers elle quand tu auras besoin d'argent, parce que la vie à Boston, c'est pas la même chose qu'à Londres. »

Fallait l'avouer, je voyais mal Ashleigh se débrouiller seule, sans sa mère. De toutes façons, connaissant cette dernière, elle allait tout faire pour que sa fille rentre vite fait, bien fait en Angleterre. « Je suis désolée de t’avoir forcé la main pour nos fiançailles. Je sais que ça ne justifie rien mais j’étais complètement sous l’influence de ma mère, enfin tu la connais… » Je ne fis pas attention aux mots d'avant. Juste cette phrase m'interpella. Des excuses ? C'était pas trop tôt. Même si je n'appréciais pas qu'elles n'arrivent que maintenant. C'est vrai quoi. Ashleigh aurait très bien pu s'excuser lorsque je lui ai annoncé mon départ pour Boston. Mais elle ne l'avais pas fait. « Oui, je connais ta mère et effectivement ça ne justifie absolument rien. Seulement l'influence de ta mère n'est pas la seule responsable. Tu as fait ce qu'elle t'as dit, simplement parce que tu en avais envie. Tu n'as pensé qu'à toi. » Je n'étais pas vraiment tendre dans mes paroles, mais au fond, j'avais toujours cette rancœur envers Ashleigh. Pour moi, elle n'avait pas vraiment été manipulée par sa mère. Elle savait très bien ce qu'elle faisait. « Enfin je voulais te montrer que j’avais changé. Je suis venue à Boston pour changer. » Et changer en quoi ? Un peu plus d'indépendance. Bien bravo Ashleigh. Et la prochaine étape c'est quoi ? Rentrer chez toi pleurer dans les jupons de maman à la moindre difficulté ?! Non parce que, je donne pas chez de la peau d'Ashleigh si Épiphanie, Léna et Jude lui tombent dessus. Enfin, surtout les deux premières, vu qu'elles connaissaient bien Ashleigh et qu'elles savaient bien le mal que j'avais eu à me remettre de notre relation. « Arrêtes, je n'y crois pas. Tu es incapable de changer. »

Elle comprenait très bien pourquoi Luke était si réticent à la croire, d’ailleurs elle-même se détestait pour ce qu’elle lui avait fait mais elle était déterminée à lui montrer qu’elle pouvait se racheter. Elle avait fait une erreur, et ne dit-on pas que l’erreur est humaine ? Ashleigh avait appris beaucoup sur elle-même et surtout sur sa famille et ses ambitions avec cette histoire. Elle croyait naïvement que sa mère voulait le meilleur pour elle ; en réalité, elle voulait le meilleur pour son nom. « Tu désobéis à ta mère toi maintenant ? C'est nouveau ça. Enfin, je doutes que ça dure bien longtemps, tu retourneras vers elle quand tu auras besoin d'argent, parce que la vie à Boston, c'est pas la même chose qu'à Londres. » Il n’avait pas tort lorsqu’il remarquait la nouveauté de ce comportement, mais il fallait qu’il se fasse à l’idée que maintenant c’était la règle pour Ashleigh. De toute façon avec quelques heures de décalage horaire et tout un océan pour les séparer, elle n’était pas prête à céder au chantage de sa mère de nouveau. Les choses lui étaient facilitées car sa mère n’avait pas réussi à verrouiller son compte en banque, et même si elle l’avait fait, faire un internat de neurologie auprès du meilleur spécialiste du pays rapportait un salaire conséquent. Et l’appartement qu’elle avait trouvé était d’une taille raisonnable ; elle ne se saignerait pas aux quatre veines pour son loyer. Mais Luke n’avait pas encore vu tout ça. Pour l’instant il ne voyait que la jeune femme qui l’avait blessé des années plus tôt.

« Oui, je connais ta mère et effectivement ça ne justifie absolument rien. Seulement l'influence de ta mère n'est pas la seule responsable. Tu as fait ce qu'elle t'as dit, simplement parce que tu en avais envie. Tu n'as pensé qu'à toi. » En réalité, elle avait pensé à lui aussi. Ash était persuadée que s’ils ne se mariaient pas, d’une part ils ne pourraient plus se revoir, et c’était en cela qu’elle avait été égoïste car elle ne voulait pas être privée de lui – ce qui avait bien marché, lorsque l’on voit sa situation actuelle… – et d’autre part Luke aurait dû être déshérité. Du moins c’était ce que sa mère avait bien voulu lui faire croire et malgré le côté rutilant de leur milieu, il était suffisamment dur et impitoyable pour que cela puisse être vrai. Elle lui avait dit qu’elle avait changé, et qu’elle allait changé encore. « Arrêtes, je n'y crois pas. Tu es incapable de changer. » Il ne la croyait pas, mais elle allait faire tout son possible pour qu’il s’en rende compte. Ashleigh haussa les épaules, et marcha en sa direction. Lorsqu’elle arriva à son niveau, elle leva les yeux vers lui, et avec un mince sourire confiant elle dit : « Je vais te le prouver, tu verras. » Puis elle continua sa route vers la porte vers les escaliers de secours et avant de disparaître dans la pénombre du couloir, elle lança dans l’air froid de l’hiver de Boston « on se voit à l’hôpital, Maryan. »