Les minutes défilent, les minutes s'égrènent. Je scrute le réveil posé sur ma table de chevet, inlassablement. Le tic tac de celui-ci frappe contre mes tympans, me donne mal à la tête mais je n'en ai rien à faire. Je suis fatiguée, je suis épuisée. Et ce putain de sommeil qui s'est fait la belle, ce connard de Morphée qui semble avoir décidé que je resterais éveillée jusqu'à ce que j'en crève. Il n'est que dix-sept heures et le jour transperce encore à travers mes volets clos. Boston est animée, Boston est réveillée. J'entends les klaxons qui sonnent en bas de l'immeuble, les enfants qui dévalent les escaliers et dont les rires résonnent encore dans le hall. J'entends tout mais personne ne m'entend, moi, la fille qui a décidé de se taire, la fille qui a fait vœu de silence le jour où elle a compris que parler ne rapportait rien, si ce n'est de la barbarie dans les mots qui s'envolent. Je suis fatiguée, morte d'épuisement. Mais je ne dors plus depuis que tes bras ne savent plus m'encercler, Swann. Je ne ferme les yeux que pour admirer ton visage défiguré par la haine que tu me voues désormais. Et je t'aime mon amour, chaque jour un peu plus fort tandis que toi, tu me détestes chaque jour un peu plus. On se complète, tu vois... Dans un couple, on dit qu'il y en a toujours un qui aime plus que l'autre. Et tant pis si c'est moi, tant pis si j'en meurs. Je veux te voir sourire, je veux te voir aimer... et puis crever d'amour, et puis crever d'amour. En fait, je veux juste rêver. Encore une fois, encore une fois. Me souvenir de tes pupilles qui criaient leur amour comme je crie ma tristesse depuis que je m'en suis allée... Tu sais, je regrette. Personne ne le voit. Mais si tu entendais mon silence d'où tu es, tu saurais. Combien je regrette d'avoir brisé cette promesse pour laquelle je vivais, cette promesse pour laquelle tu avançais... cette promesse qui nous aidait à nous lever chaque matin. Le vibreur de mon cellulaire me sort de ma torpeur mais je n'ai pas le courage de me lever. Chacun de mes muscles est endolori, chacun de mes muscle est contracté. Je veux dormir et oublier. Alors mes yeux se ferment tout seuls, lentement. Et s'ouvrent presque aussi lentement. La personne qui cherche à me contacter insiste et je finis par me lever du futon pour attraper fébrilement mon cellulaire posé un peu plus loin. « Oui ? » Un silence suit puis un souffle saccadé se fait entendre. Je le reconnais. Je le reconnais parce que je connais celle à l'autre bout du fil par cœur. Je sais ses joies autant que je sais ses malheurs. Je sais ses plaies et je me tue à les panser. « Poupée ? Que se passe-t-il ? » Elle tente de parler mais n'en est pas capable. Alors je réfléchis, je creuse au fond de moi pour deviner les mots qu'elle me murmure à travers les secousses qui l'oppressent. « Calme-toi Junon, calme-toi. J'arrive, dis-moi où tu es, j'arrive. » « Hm.. hm.. Ca.. café. » « Reste où tu es, poupée. J'arrive. » Je raccroche ; je dois faire vite. Elle va finir séchée d'avoir trop pleuré, séché de trop souffrir encore.

Je crois que j'ai couru pour arriver plus vite. Je crois que j'ai fait un effort phénoménal pour arriver au petit café en moins d'un quart d'heure. J'ai le souffle court, cependant moins qu'elle. En poussant la porte du café, mes yeux parcourent la salle à la recherche de celle qui fait de mon quotidien des jours moins douloureux. Il fait sombre là-dedans et ça pue le tabac. Je n'aime pas spécialement cet endroit, encore moins les serveurs... mais ce n'est pas grave puisque je l'aime elle. Tu l'aurais aussi aimée mon Amour, j'en suis sûre. Tu aurais adoré voir ses yeux briller quand elle rit, tu aurais été amoureux de son rire de petite fille qui t'emmène en enfance. Tu l'aurais aimée et tu aurais compris que je ne suis plus tout à fait seule depuis qu'elle caresse mes cheveux pour me tenir en vie... Elle est là, dans le fond, faisant presque partie du décor. Ses yeux sont figés sur son chocolat chaud qu'elle ne boit pas. Je m'approche d'elle, je la rejoins et je saute à pieds joints sur sa peine. Elle me fait mal car sa douleur est mienne. Je ne supporte pas de la voir brisée, de la voir piégée par ce destin trop noir. Une fois à sa hauteur, je m'agenouille près d'elle et mes lèvres effleurent sa joue humide. J'avale ses larmes et je prends ses craintes. Mes doigts glissent le long de son visage et j'essuie doucement sa tristesse, avec amour. « Doucement, ma jolie, Doucement. » J'attrape la chaise solitaire qui se trouve une table derrière et je la ramène près de celle de ma meilleure amie. M'asseyant près d'elle, je l'invite à poser sa tête sur mon épaule. « Raconte-moi, poupée. Je ne te lâche pas, je suis là. » Elle pleure tellement fort mon Amour, elle semble tellement anéantie par la vie... Tu vois, c'est à ça que je passe mes journées pour combler ton absence : la regarder pleurer et la serrer contre moi. Elle est la fleur que je ne veux jamais voir faner...