i'll be there for you when the rain starts to pour

Je suis née à Toronto le 30 juin 1985, d'une mère canadienne et d'un père américain. Ils se sont rencontrés sur internet, et leur histoire a marché. Ça fait rêver n'est-ce pas ? Car moi, l'amour par internet, je n'y crois pas. L'amitié, oui, l'amour, non. Il n'y a rien de mieux que de se voir pour la première fois, se découvrir par le regard, et non pas par l'écriture. Mais pour eux, ça a marché. Résultats, aujourd'hui, trente-deux ans de vie commune, vingt-neuf ans de mariage, et trois enfants, trois filles, la plus jeune, étant moi, qui ai vingt-six ans, puis vient Tamara, vingt-sept ans, et la plus vieille étant Suzy, qui a vingt-huit ans. Nous avons vécu jusqu'à deux ans après ma naissance au Canada, puis nous avons déménagé à Boston, autant dire que je considère avoir toujours vécu aux États-Unis. Mes sœurs et moi nous entendions et nous nous entendons encore très bien, nous avons toujours été très soudées, nous faisions tout ensemble, elles étaient les premières à qui je disais tout, et vice-versa. On dit toujours que lorsqu'il y a trois enfants dans une famille, il y en a toujours un mis de côté. Mais pas nous. Liées comme les doigts de la main, liées par le sang, liées par la même couleur de cheveux. Je voulais devenir mannequin, lorsque j'avais quinze ans, mais j'étais trop petite, et je savais que j'avais déjà fini ma croissance. Je faisais donc une croix sur ce rêve, ce qui fit plaisir à mes parents. Car mes parents, eux, me voyaient déjà, brillante avocate, ou brillant médecin; tout ce que je détestais. Je me contentais alors de faire la mannequin pour des petits photographes de la ville, et ça me permettait de mettre de l'argent de côté, car ce que j'allais leur annoncer trois ans plus tard me donnerais un accès direct à la rue. Le lendemain de mes dix-huit ans, soit le 1er juillet 2003, je leur laissais cette lettre, et je partais, valise à la main, et un compte en banque suffisamment remplit pour me permettre cette douce libération.

Citation :

« Papa, maman.
Je sais que après ces mots, on ne se verra plus. Mais plus du tout, jamais. Et c'est d'ailleurs pour ça, pour la réaction que vous allez avoir, que je vous écris, au lieu de vous dire en face ce qu'il se passe. Je suis amoureuse. Vraiment très amoureuse. La personne avec qui je suis en ce moment est extraordinaire. Elle est gentille, attentionnée, et je sais qu'elle m'aime non pas pour mon physique, mais pour ce que je suis vraiment. Elle m'aime du plus profond de son cœur, et je l'aime du plus profond du mien. Cette personne est une femme. Cette personne est une femme et on s'aime. Elle a vingt-ans, elle s'appelle Cary.

Je l'aime, mais je vous aime aussi.
Adieu, Eulalie. »

C'est cette même année que je me suis mise à peindre. Ma rancœur, mon dégoût, ma tristesse. Je les détestais autant que je les aimais. J'attends toujours la lettre de leur réponse, et ça fait huit ans aujourd'hui. Huit ans d'attente, à chaque fois. Et ce n'est pas la seule que j'ai envoyé. En huit ans, j'en ai envoyé une centaine, et je les revois chaque fois dans ma boite aux lettres. Déchirées, lues, j'en étais certaine, mais renvoyées à l'expéditeur. Moi. Leur fille, leur sang, leur chaire. Le pire, c'est que peu de temps après, cette fille, Cary, m'a quitté, prétextant s'être complétement trompée sur ses choix d'orientation. J'étais écœurée, et sans véritable raison, je me mis à éprouver une grande haine envers les hommes. Surement à cause des clients. Ces clients pervers au bar, et mon père, le seul homme qui ai jamais compté pour moi, et qui m'abandonnait. Heureusement que j'avais encore des contacts avec mes sœurs, on se voyait encore souvent, et aujourd'hui, on se voit encore plus souvent. Seule dans mon appartement minable, désespérément seule, et bossant comme serveuse le jour, comme mannequin et peintre la nuit, je dormais peu. J'avais une véritable vie de débauche. Je sortais tout le temps, en une semaine je pouvais avoir trois amantes différentes, et l'impression d'être amoureuse de chacune d'elle. Je rentrais d'une soirée bien trop arrosée, ou je ne connaissais personne, et dont je ne me souvenais pas, lorsque j'ai eu cet accident, il y a six mois. Renversée par une voiture, je suis restée longtemps inconsciente, je crois d'ailleurs n'avoir jamais dormi aussi bien depuis longtemps, même si j'avais mal.

Citation :

« Papa, maman.
Je sais que ça ne changera rien, car voilà près de huit ans que l'on ne s'est pas vu, et je pense que ça fait huit ans que vous vous en voulez et que vous ne pensez qu'à vous, mais je voulais juste vous dire que je me suis fait renversée par une voiture hier soir. Je n'ai rien, je vous écris de l'hôpital, mais encore une fois, je ne crois pas que vous vous en souciez plus qu'avant. N'écoutez pas Suzy et Tamara, ne vous obligez pas à venir me voir. Après tout, ça fait huit ans que je vis sans vous.

Au revoir, Eulalie. »

Il me semble que ce jour-là a bouleversé mon cœur. J'ai rencontré Daphné, ce jour-là. Une nouvelle arrivante, infirmière à l'hôpital. Brune, belle, frêle. Coup de cœur. Après mon petit séjour à l'hôpital, je lui ai fait visiter la ville, puis nous nous sommes revues de nombreuses fois. Aujourd'hui, nous formons un couple, même si je ne peux m'empêcher d'aller voir ailleurs. Mais je l'aime profondément. Elle me comprend, elle est la plus belle chose qui me soit arrivé depuis longtemps. J'aimerais l'avoir créée tellement elle me semble parfaite.