i'll be there for you when the rain starts to pour

« Comment peux-tu faire cela à notre famille ?! » criait Lady Catherine de Bath, dans la grande salle à manger. Cela faisait à présent une heure qu'elle tempêtait contre son mari. Et c'était la première fois qu'Epiphanie voyait sa mère pleurer et perdre autant le contrôle de la situation, tandis que son père s'opposait de plein front à sa femme. Une heure qu'elle voulait le dissuader d'insérer cette « bâtarde », comme elle l'appelait, si méprisante, les mots lui écorchant la bouche, elle sifflait comme une vipère, elle en éructait de rage, mais Lord Thomas Jules Fields tenait bon, prenant en considération chaque argument et répondait de cette nonchalance toute anglaise que la petite n'y était pour rien, qu'il avait tout prévu avec les avocats, que c'était légal, et que ce n'était surtout pas elle qui pourrait lui donner des leçons de moral. Epiphanie et Luke profitaient de cette conversation houleuse, les oreilles collées au parquet, en se demandant ce qui pouvait mettre leurs deux parents dans un tel état. Finalement, quelqu'un claqua violemment la porte, on entendit des éclats de voix, encore et encore, des supplications, et ce fut finis. Finis par K.O. . Les deux adversaires s'étaient retirés, laissant les deux jeunes enfants sur leur faim, eux qui ne comprenaient toujours pas la situation . « C'est quoi une batte harde ? » demanda innocemment la petite brune, les yeux grands ouverts, surprise du calme qui régnait à nouveau sur la maison. Luke l'ignorait, mais il ne voulait surtout pas avoir l'air idiot devant sa sœur, et parti chercher un dictionnaire . Ils mirent une dizaine de minute à trouver le mot, écorchant son orthographe comme seuls les gosses savent le faire, ajoutant des H, des S, des T. Finalement, avec un « Hallelujah ! », la définition leur sauta aux yeux . Sens 1 Se dit d'un enfant illégitime. Sens 2 Se dit d'un animal qui n'est pas pure race . « Dit, on va avoir un nouveau chien tu crois ? » questionna Epiphanie, d'une candeur presque touchante . Son frère ne réagit pas, il ne savait rien, honnêtement son âge plus avancé lui laisser à présager des ennuis. Pour toute réponse, il se contenta d'attraper la menotte de sa compagne de jeu et de la serrer très fort, comme si cette poignée de main enfantine pouvait la protéger de tous les maux de la vie .
Deux semaines plus tard, par une belle après midi d'automne alors que les jours raccourcissaient et que la nuit tombait de plus en plus tôt sur la ville, on les fit mander dans le salon. Docilement, ils rejoignirent leurs géniteurs, abandonnant leurs jeux sans discuter, curieux de la raison pour laquelle on souhaitait leur parler. Luke ne lâchait pas Epiphanie, ce qui avait une forte tendance à l'irriter, elle détestait quand son frère veillait sur elle de trop près. Alors qu'elle se rebiffait pour la énième fois, leur mère les coupa sèchement et dit de but en blanc « Les enfants, calmez vous un peu. Nous avons une … personne à vous présenter. » . Elle rechignait à prononcer ces mots simples, et son sourire froid était encore plus superficiel que d'habitude. Leur père choisit ce moment pour faire son entrée, accompagné d'une petit fille blonde à l'air apeurée, qui jetait des coups d'œil partout, même en direction des conduits d'aération, espérant sans doute pouvoir encore s'échapper . « Epiphanie, Luke, voici Léna, votre sœur . J'espère que vous la traiterez cordialement, ne la chamaillez pas trop. N'oubliez pas de lui faire visiter la maison. » . Puis, les deux adultes sortirent, sans prendre la peine d'expliquer quoi que ce soit. Lady Maryan-Fields, gênée bien plus par le silence que par une quelconque timidité s'avança pour attraper une mèche de cheveux, et avouer avec une envie non feinte « J'adore tes cheveux, jaunes comme les blés, j'aimerais avoir les mêmes. Père m'a dit que quand j'étais petite, j'étais si blonde qu'on me croyait chauve . », puis elle tira la révérence et éclata de rire, devant l'air stupéfait de son frère et de celle qu'elle devrait à présent appeler soeur. Son chien, un épagneul breton à poils roux s'avança pour renifler curieusement l'intrus, avant de japper et de partir en courant. Epiphanie retint une nouvelle crise d'hilarité, et tira la manche de son frère pour aller jouer dans le jardin, cette fois accompagnée de la minuscule Duchesse qui les suivait d'un pas hésitant. Aucun d'eux ne savaient alors qu'un temps viendrait où ils seraient inséparables, pareils aux doigts de la main. « Elle ne parle pas beaucoup plus qu'un chien ... » ricana Luke, avant d'ajouter de façon mesquine « J'aurais préféré un chien . »

« T'as pas intérêt à me faire ça, Lena ... » murmura Epiphanie en serrant furieusement la main de la jeune blonde, inanimée. Ses cheveux étaient étendus autour d'elle et formaient comme une auréole autour de son visage, elle avait l'air sereine comme … Non, elle ne pouvait faire la comparaison avec la mort, c'était trop tôt. Les bandages, autour de sa poitrine, ne cachait que des blessures superficielles, c'est ce qu'avait dit le médecin. Il était seulement inquiet des lésions que le choc reçut avaient pu faire à son cerveau, mais on n'en saurait pas plus avant qu'elle se réveille. Si elle se réveillait. Et plus les minutes défilaient, plus Epiphanie devait retenir ses larmes, avoir l'air forte. C'était idiot, mais elle ne s'était jamais rendue compte d'à quel point la présence de la jeune fille lui était devenue indispensable. Comme une part de son âme, de son coeur, sa moitié féminine, celle avec qui elle partageait tout. Ne m'enlevez pas mon âme … supplia t'elle, priant des dieux auxquels elle n'avait jamais cru, espérant la présence d'une être supérieur en cette période trouble, un ange gardien qui serait là pour sauver la vie de Léna. Léna, toujours aussi belle, même plongée dans un comas, Léna et sa jolie peau satinée, Léna et ses cheveux dorés, Léna qu'elle admirait pour son côté rebelle, celle à qui elle confierait tout, même sa vie. Luke n'avait pas l'air dans un meilleur état. Il s'était endormi sur le fauteuil, las d'attendre un signe qui ne venait pas. Epiphanie tenta d'oublier la souffrance de voir un être aimé ainsi offert aux caprices de la mort, mais ses épaules tremblaient, et elle relâcha l'effort, incapable de retenir plus longtemps les sanglots qui l'agitaient. Une infirmière la mena dehors, en lui tonnant de se reposer. La brune acquiesça et sorti d'un pas morne, pour prendre le métro jusqu'à l'hôtel particulier de ses parents. L'œil éteint, elle prit une douche d'une heure, puis s'allongea sur son lit sans parvenir à trouver le sommeil. Elle écoutait le bruit de la circulation, s'imaginait la tête des conducteurs. Parfois, un véhicule bruyant passait et déversait en crachotant une musique criarde et laide qui remontait jusqu'aux oreilles d'Epiphanie. Elle s'abandonne enfin aux bras de Morphée quand elle réalisa que tomber malade n'aiderait pas sa soeur à récupérer.
Ce fut un rayon de soleil qui la sorti des nappes brumeuses de la nuit. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises pour assimiler la lumière nouvelle qui frappait sa pupille. Luke l'attendait, un sourire aux lèvres « Prépares toi vite, Épi, j'ai une surprise pour toi ! ». La jeune femme fut choquée par l'attitude indolente de son frère, après tout Lena était toujours à l'hôpital, à moins que .. « OH MON DIEU ! LÉNA N'EST PLUS DANS LE COMA ? » . Il hocha la tête, les yeux un peu brillant sous l'émotion. Elle sauta du lit, puis elle s'agrippa au cou de son frère en riant de bonheur, euphorique. Il tapota maladroitement son épaule .

« Putain mais Epi, CASSES TOI ! Je suis à poils ! » s'exclamait Luke, en se couvrant en toute hâte d'une serviette pour cacher le nécessaire . Nonchalante, l'intéressée passa le pas de la porte et attrapa une brosse pour remettre un peu d'ordre sur la mèche qui dépassait de son chignon . « C'est okay, je ne compte plus le nombre de fois où je t'ai vu nu, et puis, si ce n'est pas moi qui te mate t'aura jamais personne pour contempler tes biceps, Lulu . » se moqua t'elle, en passant l'eye liner sous ses yeux. Elle dut s'y reprendre à deux fois avant d'être totalement satisfaite . Il haussa les épaules et soupira, blasé « Ah oui, c'est vrai, j'avais oublié à qui je parlais, c'est à dire Miss SansGêne. Je vais finir par penser que tu aimes me voir en tenue d'Adam, soeurette. » . Ce fut au tour de Léna d'entrer en action, enfin pour décrire la scène avec exactitude, elle avait attrapé la poignet, glissé lamentablement sur une flaque d'eau et s'était rattachée au chandail dont leur frère se servait pour couvrir ses parties génitales. Le pauvre Luke se retrouva sans ce même chandail, et sa sœur étalée par terre morte de rire, accompagnée joyeusement par Epiphanie. Cette dernière se prit de pitié pour la victime de la maladresse de la blonde et lui envoya un peignoir, qu'il attrapa comme une bouée de secours, avant de se retourner, leur offrant une superbe vue de son postérieur, et enfilant tant bien que mal ce qui s'avérait être une chemise de nuit en dentelles . Néanmoins, il ne s'en plaignit pas, heureux d'offrir à son corps une certaine intimité. Songeuse, la brune commenta « Non, vraiment, parfois je regrette que tu sois mon frère. Tu es vraiment séduisant, et tu as hérité d'un bel attirail . », ce à quoi Léna ajouta, remise de ses émotions « C'est exactement ce à quoi je pensais, Epi ! » . Le jeune homme, un peu offusqué malgré lui, les aspergea d'eau et parti la tête haute en direction de sa chambre . « Je lui dis que ses potes l'attendent là bas ? » interrogea Epiphanie . Lena hocha la tête négativement « Il le saura bien assez tôt …. » . Effectivement, on entendait déjà des rires en provenance de la salle . « Quelques fois, je pense que nous sommes vraiment cruelles avec lui ... » s'amusa doucement l'ainée . « On l'aide à s'endurcir ! » affirma la seconde, le sourire aux lèvres.

Les remords. Doux, cruels, presque tendres alors qu'ils vous coupaient lentement la gorge. Tels des amants, ils caressaient leurs victimes pour leur faire payer leurs fautes. Et la faute d'Epiphanie était grande. La jeune femme s'en voulait. Elle avait à peine dormi ces derniers jours, et avait emménagé provisoirement dans une chambre d'hôtel, prétextant une dispute avec Léna, sans donner plus d'explications. Tout plutôt que de se retrouver en face d'elle, d'affronter son regard, ses remarques amicales, alors qu'elle ne méritait que sa haine et son mépris. Epiphanie en était arrivée à la conclusion que ce qui était advenue, ce n'était pas elle, elle avait été autre le temps d'une nuit, elle s'était laissée allée à des interdits qui lui déplaisaient, elle n'en était pas moins responsable mais cela allégeait sa peine . Une chose était sûre, elle ne se cacherait pas derrière le fin masque de l'alcool, et ne se débarrasserait pas aussi aisément de sa culpabilité. Le mensonge, c'était pour les âmes faibles . Oui, elle avait couché avec Noah, elle avait trop bu et elle s'était laissée aller. Mais tout de même ; elle ne pouvait croire qu'elle avait trahi sa meilleure amie. La brune avait promis à Noah de ne rien lui dire, mais à quel prix ? Cette promesse comptait peu, au regard de sa franchise habituelle.

Elle se résolut à lui dire .
Un bon millier de fois .
Elle fit trois aller-retour entre l'hôtel et l'appartement.
Elle retourna à la chambre et elle piqua une crise de nerf .
Elle commanda de la nourriture, des pâtisseries, et elle s'empiffra, avant de faire une ingestion et de se voir obligée de tout vomir dans les toilettes .

Et, par mégarde, elle répondit au téléphone . « Epi' ? Ici Léna, qu'est-ce qui se passe ? Tu ne réponds plus à rien ... » .. un silence au bout du combiné, et la blonde reprenait « Écoutes, si c'est à propos de notre dispute de la dernière fois je ne t'en veux pas, reviens chez nous . » Epiphanie eut envie de hurler, de lui crier qu'elle n'en avait rien à faire de cette engueulade idiote, mais en même temps Lena n'y était pour rien « Je suis désolée, j'ai besoin de temps pour … tu sais ? Réfléchir à ma vie en générale, me demander ce que je veux faire de mon futur, enfin je suis en pleine phase de remise en question ... » marmonna t-elle. Sa demi-soeur ricana « Oui, c'est ça, et je suis la Reine d'Angleterre ... » « Non, pas encore . » . Les deux jeunes femmes éclatèrent d'un rire franc, libérateur . Finalement, Lena proposa « Viens te remettre en question chez nous ce soir, on fait une soirée pijama avec Jude … Allez, tu lui manques .. » . Epiphanie frissonna, et tenta de calmer son coeur qui battait à cent à l'heure. La gorge aussi sèche que le Sahara, elle répondit « Oh, euuh, oui d'accord … mais ... » son interlocutrice ne lui laissa pas le temps de finir « À ce soir ! » avant de raccrocher .