Je ne savais pas trop comment j'avais atterri ici, ce soir-là. A vrai dire, qui voulait en connaître la raison ? Tout le monde venait bien dans un endroit pareil pour quelque chose. Que ce soit pour un verre entre amis, pour une célébration, ou au contraire, une déception. Après avoir passé une dure journée, ou simplement pour noyer ses problèmes, chacun avait une bonne raison (ou non) d'être ici. Pour ma part, le pourquoi du comment restait encore à éclaircir, cependant. Enfin j'étais là, dans ce bar, à moitié avachi sur le comptoir, jaugeant mon verre d'un œil un peu trop ivre. Bon, je n'étais pas encore à me rouler par terre, mais j'avais assez bu pour sentir ma langue se délier. Oui, je parlais, je parlais, un peu à qui voulait l'entendre, en fait. Au barman, ce pauvre mec qui ne devait qu'avoir envie de se tirer d'ici au plus vite. A cette charmante voisine, qui m'avait regardée comme si j'étais le dernier pervers de la Terre, ou alors à ce joli petit verre de whisky que je descendais en quelques secondes à peine. L'hôpital avait certes certaines règles concernant l'éthique, comme par exemple, ne pas se bourrer la gueule, mais ma journée était terminée, alors au diable les règles, au diable l'hôpital. Si l'on me bipait, j'étais juste certain de perdre une super occasion de ruiner la journée des autres internes en étant pris sur une super intervention. Tant pis, ce soir je ne voulais pas penser à ça. Je ne connaissais pas la raison qui m'avait guidé jusqu'à cet endroit et pourtant maintenant que j'y étais, je ne voulais plus en repartir. Je voulais juste boire, boire boire jusqu'au coma éthylique. Ce petit cocon que j'avais formé n'était pas si mal finalement. J'y perdais la notion du temps, de l'espace, toutes les notions qui puissent exister à vrai dire, mais ça m'allait très bien. C'était ce que j'étais venu chercher ici finalement. Un espace où tout oublier, quelques instants seulement. Quelques minutes où je pouvais penser que je n'étais pas le plus parfait des abruti, un parfait connard avec tout le monde, quelques minutes où je n'avais pas à penser justement. Oh oui, ça me paraissait comme le meilleur plan de la soirée.

Je contemplais mon verre presque vide avant de me décider à le vider d'une traite. Immédiatement, j'en redemandais un au serveur, avant de tourner la tête vers cette personne qui troublait et envahissait mon espace en prenant place à côté de moi. Un seul coup d'œil suffit, un sourire provocateur élargit mon visage. « Aaron ! C'est toujours un plaisir de te voir. » Je me déconcentrais sur le serveur, haussant le ton pour être sûr qu'il puisse m'entendre. « Sers-en donc un autre à mon... » Non, j'avais beau essayer, prononcer le mot "ami" pour désigner cet être m'arrachait la gorge. « ...lui. » repris-je en le désignant du doigt d'un ait dédaigneux, grimaçant. Sa simple vision avait réussi à gâcher tous mes plans pour ce soir, à savoir, attendre d'être bien bourré pour rentrer avec la fille qui voudrait bien de moi. Parmi les sept milliards d'humains sur Terre, Aaron avait décidé de venir m'emmerder, moi. Quelle générosité, j'en aurais presque été flatté s'il ne m'agaçait pas autant. Car oui, ça me coûtait de dire qu'il n'était pas aussi insignifiant que je le prétendais, Aaron avait le don de toucher à tout ce qui m'appartenait, de flirter avec celles que j'aimais. Je vidais ce nouveau verre d'un coup sec, je sentais qu'il allait m'être d'une grande aide, ce soir.