i'll be there for you when the rain starts to pour

ϟ for every step in any walk i'll be your guide.

Un billet de deux cents m'attendait sur la commode vernie - sa manière à elle de me demander gentiment de dégager. Mauvais jour - de ceux où les souvenirs remontent, où dans un élan de lucidité elle se rend compte de quelle conne bourgeoise elle est. Prends un Lexomil et ça passera, demain tu seras de nouveau la mère exubérante défoncée aux calmants qui claque des milles et des cents pour habiller sa fille en Dolce Gabanna et de se donner bonne conscience. Pour pouvoir montrer aux autres connes bourgeoises pétries de jalousie comme elle a bien réussi sa vie, pour leur montrer comme son lifting a bien réussi et comme on dirait qu'elle a dix ans de moins. Je soupire. A côté du billet, il y avait son porte-feuille, et dans son porte-feuille, sa Gold. Je la fourrai dans un poche de mon jean, quelques minutes plus tard, sans savoir comment, je me retrouvais à balancer des petites culottes dans une énorme valise noire qui devait peser plus que moi vide. Mes mains tremblaient et j'étais totalement fébrile, quand je traçai quelques mots - « Pardon Maman, mais j'étouffe. Ne t'inquiète pas pour moi. » - sur une feuille arrachée à l'un de mes nombreux carnets. Une musique d'ambiance un peu glauque résonnait dans sa chambre quand je fermai la porte de notre appartement derrière moi.

J'avais 19 ans, je venais de fuguer de chez moi pour échapper à une mère obsédée par ses rides, ses massages revitalisant, ses stilettos et ses crèmes antirides, déprimée et défoncée au Lexomil depuis ses 40 ans, voire depuis son divorce. J'attendais le départ de mon avion pour Boston, avec ma valise pleine de fringues de marque que je détestai et une vieille besace en cuir défraîchi. Je sortis mon portable de ma poche, et fixai l'écran comme si la solution à mon problème - que faire maintenant ? - allait s'y afficher. C'était bien beau, retourner là-bas sur un coup de tête, mais qui m'assurait que j'y trouverai encore quelqu'un ? Je fis défiler mon répertoire, et quatre lettres me sautèrent aux yeux, apportant avec elles une vague lancinante de souvenirs. Elea. C'était insensé bien sûr ; elle devait avoir changé de numéro depuis des années, mais c'était alors tout ce que je voyais à faire. Je pressai le bouton vert d'un air interdit, et collait l'appareil à mon oreille. Une sonnerie. Réponds, je t'en prie. Deux sonneries. Allez, merde quoi, réponds. Trois sonneries. Mais si elle ne m'aime plus ? Si elle ne se souvient plus de moi, si elle ne veut plus me voir ? Et merde. Quatre sonneries. Ne réponds pas, en fait. Son répondeur se déclencha, et entendre sa voix me donna des frissons - ça faisait si longtemps. Hum. Salut, Elea c'est... Olivia. Je sais que tu dois certainement pas t'attendre à ce que je débarque chez toi comme ça mais... je prends un avion pour Boston dans une heure, et si tu pouvais m'héberger le temps que je me trouve un appart, ça serait vraiment génial. Je... j'ai hâte de te revoir, tu me manques. Ma voix se brisa sur ces derniers mots, et les larmes me montèrent aux yeux. Neuf ans. Notre séparation semblait si loin à présent, mais la douleur était restée omniprésente, même après tout ce temps. Dans quelques heures, ma sœur et moi serions à nouveau réunies.

ϟ my home is where my heart is.

Les turbulences, le stresse, la fatigue et, en premier lieu, ma peur panique de l'avion avaient fini par avoir raison de moi. Agenouillée devant la cuvette des toilettes de l'avion, je vomissais tout ce que j'avais en moi - autant le mauvais petit déjeuner que j'avais pris ce matin à l'aéroport que la masse d'émotions contenues que j'accumulais depuis des semaines. La soudaine transformation de ma mère en cette cinglée accro aux anti-dépresseurs autant qu'au Botox m'avait achevée, et mes prochaines retrouvailles avec Elea et mon père n'arrangeaient rien. La première vague venant de s'arrêter, je m'adossai piteusement contre la porte de l'étroite cabine où j'avais élu domicile depuis le début du vol, tout en écartant quelques mèches recouvertes de vomi de mon visage. Une odeur nauséabonde régnait dans la cabine, et, très honnêtement, j'avais du mal à définir qui de moi ou de la cuvette des toilettes empestait le plus.

La dernière fois que j'étais retrouvée dans un état pareil, c'était après une soirée bien arrosée - ma première et sans doute aussi ma dernière vraie cuite - à laquelle m'avait entrainée Ezra. Ezra était mon demi-frère - ou, d'un point de vue purement biologique, mon "rien du tout" - le fils du nouveau mari de ma mère. Si on pouvait appeler cela un mari ; jamais à la maison, uniquement plein aux as et bon baratineur, il était le financier de ses nombreuses opérations chirurgicales, et maman avait plus d'amants que de parties de jambes en l'air avec lui en l'espace d'un an. Toutefois, si ce mariage ne lui avait pas apporté beaucoup plus qu'une bonne situation financière, à moi il m'avait apporté Ezra. Il avait seize ans et moi quatorze quand nos parents s'étaient marié, et, immédiatement, une certaine complicité s'était installée entre nous, sans doute accrue par la même haine que nous ressentions chacun envers la superficialité des vies de nos parents. Cependant, envers et contre tout, même si nous avions grandi ensemble et que de nombreux liens s'étaient tissés au fil des années, je ne l'avais jamais considéré comme mon frère à part entière. A vrai dire, je n'aurais jamais pu qualifier l'amour que je lui portais de semblable - et encore moins d'égal - à celui que je ressentais toujours et encore pour Elea. S'il était mon confident et mon protecteur, il restait cette attirance entre nous, omniprésente depuis le tout début bien que je l'eus toujours repoussé.
Toutefois, dans cette cabine empestant la gerbe, c'est lui que j'aurais voulu avoir à mes côtés, pour retenir mes cheveux et me rafraîchir le visage - d'autant plus qu'il allait affreusement m'en vouloir de ne pas l'avoir prévenu de mon départ. Une nouvelle vague de nausées m'envahit à la seule pensée de l'avoir oublié de cette façon, et j'ai appuyé ma tête contre la chambranle, prise de vertige.

FLASH BACK - 2 ANS AUPARAVANT.

Olivia. Qu'est ce que tu fais ? Sa voix résonna dans mon dos, et les intonations glaciales qu'elle avait prise me firent peur. Je grimaçai à l'idée de devoir affronter Ezra, puis me retournai, les mains dans le dos, mon sourire le plus angélique plaqué sur les lèvres. Oh, Ezra, c'est toi. Ton père ne t'as pas dit ? Je pars pour Boston cette après-midi, pour tout l'été. Sur ces mots, je fis volte-face et me remis à empiler les pull, les maillots de bains et les jeans dans ma valise. Quand un craquement sourd résonna dans mon dos, je fermai les yeux, paniquée, avant de me retourner vers lui. La poignée argentée de la porte dans la main, il me regardait d'un air mauvais, un éclat bouleversé au fond des yeux. Ezra, mais t'es malade ?! C'est que pour deux mois, ça va ! A ces mots, il me regarda comme si je venais de les lui jeter à la figure tels des insultes. Au fond tu préférerais être là-bas avec Elea, hein ? Nous on est que ta famille de remplacement, on est rien du tout pour toi. Vas-y, casse-toi à Boston, et restes-y, ta mère en sera aussi contente que moi. Il lança la poignée de porte qu'il avait arrachée dans ma direction, tremblant toutefois trop pour réussir à m'atteindre. Mais son intention avait largement suffit à me terroriser. Il claqua violemment la porte derrière lui en quittant ma chambre, et je me laissai tomber au pied de mon lit, trop abasourdie pour pleurer ou exprimer ce que je ressentais d'une quelconque façon. Quelques minutes ont passé dans ce silence assourdissant, seulement troublé par mes sanglots secs et sans larmes, jusqu'à ce que la porte de ma chambre s'ouvre à nouveau sur lui. Pardon. Tu sais très bien que je l'pensais pas. Je hochai la tête avec un "hm-hm" d'approbation, et il vint s'asseoir à côté de moi avant de m'enlacer. Putain, tu vas me manquer, morveuse. Quelques secondes passèrent ainsi, avant qu'il ne se relève d'un bond et se mettent à son tour à gaiement empiler les vêtements dans ma valise, me laissant toute éberluée, en tailleur sur le parquet. Il est hors de question que tu emmènes cette robe à Boston, d'après ce qu'on dit les mecs sont très dragueurs en Amérique. Ah bon. Je me souviens seulement que l'après-midi s'était terminée sur un note faussement légère, pleine de non-dits et de sous-entendu, mais aucun de nous deux ne réévoqua sa crise après cet épisode, et Ezra redevint aussi déconneur, idiot et adorable qu'il avait toujours été.

UN PEU AVANT DIX-NEUF HEURES, CETTE MÊME JOURNÉE.

Mon avion pour Boston partait dans trois heures et, mon beau-père ayant dans l'idée de jouer à la famille unie et heureuse, il avait décidé que tout le monde m'accompagnerait à l'aéroport et me souhaiterait gaiement un bon séjour. Belle comédie qui fut réduite à néant quand, tandis que celui-ci s'appliquait à envoyer des SMS les plus chauds possible à l'une de ses nombreuses putes, je remarquai que ma mère n'était toujours pas redescendue de la salle de bains, où elle s'était enfermée depuis deux bonnes heures. J'échangeai un regard de connivence avec Ezra, avant de monter précipitamment les escaliers. Une fraction de seconde durant, la main sur la poignée de la porte de la salle de bain, j'eus ce pressentiment que si j'entrais, ma vie en serait bouleversée. Puis un gémissement retentit de l'autre côté de la porte, et je l'ouvris à la volée, découvrant le corps de ma mère gisant sur le sol, une boîte de cachets renversée à ses pieds. Le temps sembla s'être arrêté, et je me jetai à ses côtés en hurlant, mes cris mêlés de sanglots. Ezra ! EZRA ! Appelles les urgences, tout de suite ! [...] Je garde des semaines passées à son chevet un souvenir amer, teinté d'injustice - parce que j'avais laissé tombé Boston pour elle, mis mes études de côté pour elle, parce qu'elle enchaînait les nouvelles overdoses et les semaines en cure de désintoxication, et parce qu'au bout du compte, c'était toujours de ma faute. Ma faute, parce que je l'avais abandonné pour Boston.

FLASH BACK END.

ϟ yesterday's history. tomorrow's a mystery. today is a gift.

L'avion se posa sur le sol de Boston quelques heures après la tombée de la nuit, débarquant l'épave nauséabonde que j'étais devenue en quelques heures de vol. La vue de cette aéroport me rappela la scène qui s'y était déroulée il y avait de cela neuf ans ; les adieux frigides de mes parents, l'étreinte sans fin de ma sœur et ses larmes rageuses, mon dégoût silencieux, retenu - on ne demandait pas son avis à une gamine de onze ans. Dans l'avion c'était pareil ; l'amertume, pas un mot de ma mère qui sentait que rien ne changerait la situation.
Le retour. Étrange, au bout du compte, puisque, durant les neuf dernières années, ni ma sœur ni moi n'avions réellement cherché à garder le contact. Des vies trop remplies, le décalage horaire, tout ça nous servait d'alibi, mais la vraie raison était simplement que nous avions changé. Les deux sœurs inséparables n'existaient plus, et il ne servait à rien d'essayer de se voiler la face. Malgré tout, quand il avait fallu me trouver un endroit où aller, c'était vers elle que je m'étais tournée, instinctivement. Peut-être avais-je pris la décision de retourner à Boston sur un coup de tête, mais il fallait bien dire que l'idée d'une retour me poursuivait depuis des mois. Et j'y étais - maintenant, il n'y avait plus de retour en arrière possible. Et je ne voulais plus faire machine arrière - la vie était devant moi, à présent.