i'll be there for you when the rain starts to pour

Elle est dans la salle d'attente depuis déjà vingt bonnes minutes. Seul un léger soupir poussé une fois par minute laisse entrevoir son agacement. Ses doigts tapotent légèrement le sac à main posé sur ses genoux. Du coin de l'oeil, elle surveille l'horloge accrochée au mur à sa gauche. Six minutes de retard. Elle s'est donné la peine d'arriver en avance, son psy pourrait au moins la recevoir à l'heure. Son regard s'accroche à la trotteuse qui poursuit sa course, imperturbable. En réalité, elle fait tout pour ne pas regarder vers la droite, mais même si elle ne les voit pas, elle les entend. Ils rient, se poussent, chahutent... Elle maudit la patiente qui est entrée avant elle de les avoir laissé là. La porte s'ouvre et une femme d'une trentaine d'année fait son apparition. Elle lui sourit puis lance d'une voix douce mais ferme :

INCONNUE ▬ Léa, Baptiste, maman a fini, on y va.

Au même moment, Winnie se lève pour accéder au bureau du psychologue. Alors qu'elle contourne la mère de famille, elle fait volte-face. Ses yeux se posent sur les deux enfants puis s'embuent. Il est trop tard maintenant.



Le psy la fait asseoir sur un fauteil blanc, profond et confortable. Pourtant, elle se sent mal à l'aise. Il la fixe, ses mains croisées sous son menton. Lunettes au bout de son nez, il reste de marbre alors qu'elle commence à angoisser. Au bout de plusieurs minutes, il produit un étrange claquement de langue et dit :

PSYCHOLOGUE ▬ Mademoiselle... Dawes. C'est la première fois que nous nous rencontrons n'est-ce pas ? Nous allons commencer par le début voulez-vous ?

Winnie hoche la tête sans décrocher un mot toutefois. Puis, voyant qu'il attend quelque chose, elle se lance :

WINNIE ▬ Eh bien, je suis née ici, à Dublin. J'ai toujours vécu ici, je n'ai jamais voulu partir. Je n'aime pas le changement.

Elle s'interrompe en voyant l'homme écrire. Qu'a-t-elle dit d'intéressant ?

WINNIE ▬ Euh... j'ai fait mes études dans un établissement catholique, et puis...

Elle hésite, ne sachant plus quoi dire. Sa vie n'a jamais rien eu de palpitant. Il y a bien eu cette fois où elle a fait du saut en parachute, mais c'est tout. La voyant dans tous ses états, le psychologue se penche en avant et lui souffle :

PSYCHOLOGUE ▬ Venons-en au fait voulez-vous ?

Winnie déglutit. Si elle veut ? NON elle ne veut pas, mais elle est forcée. Forcée de parler de ce qu'il s'est passé, forcée par ses parents, forcée par ses amis, forcée par son psy. Quand aura-t-elle le choix ?

WINNIE ▬ Il y a trois mois, j'ai été invitée à une fête. Rien de folichon, juste pour un anniversaire. C'est là que j'ai rencontré ce garçon, je ne me rappelle même plus de son prénom. Nous avons couché ensemble ce soir-là. N'allez pas croire qu'il est dans mes habitudes de coucher le premier soir, mais lui était vraiment spécial. Par la suite je... je suis tombée enceinte. Je voulais le garder, mais mes parents s'y sont opposés. En plus, le père n'avait plus jamais donné de nouvelles. J'ai consenti à me faire avorté. Je suis si jeune, je n'ai que dix-sept ans vous savez. Malheureusement, il y a eu une... complication.

Sa voix se brise. Le psychologue avance vers elle une boïte de mouchoirs mais elle se reprend.

WINNIE ▬ Je ne pourrais plus jamais avoir d'enfants d'après ce qu'on dit les médecins. Jamais. J'en veux tellement à mes parents, c'est de leur faute.

Le docteur griffonne quelques lignes puis demande :

PSYCHOLOGUE ▬ Que comptez-vous faire mademoiselle.
WINNIE ▬ Partir. Mon billet d'avion est pris, je m'envole pour Boston dans une demi-heure, j'ai trouvé un travail dans un petit journal. Je compte sur vous pour annoncer la nouvelle à mes parents docteur. Merci pour votre aide.

Fuir, courir à en perdre haleine. La vie n'est qu'une succession de crasses et de malheurs. Heureusement que la mort vient à la fin, ainsi nous pouvons nous reposer de cet enfer. Celui qui a dit que la vie était un long fleuve tranquille est un sombre con.