Lena. Depuis mon réveil le matin même, j'éprouvais un besoin irrépressible de la voir. On m'avait bipé à trois heures du matin pour une urgence et j'avais entamé ma journée à l'hôpital tout de suite après. Là, il devait bien être dix-huit, dix-neuf ou même vingt heures, après tout je n'en savais rien, mais il fallait que je la voie. Je savais que plus d'un jugeaient notre relation d'un mauvais œil. Moi-même, je ne savais pas comment interpréter ce que l'on vivait. Elle était tout à la fois. Ma meilleure amie, celle avec laquelle il m'arrivait parfois de passer mes nuits. En fait, ce qui nous unissait était indescriptible. Elle avait une place bien particulière dans ma vie que jamais personne ne pourrait remplacer. Et là, j'avais envie de la voir. Juste pour la voir, parler un peu, passer un bon moment. Parce qu'elle me manquait. Lena représentait tellement pour moi. Elle était belle, elle était drôle, elle était intelligente. Elle était aussi dotée d'une bonne oreille, et il m'était particulièrement facile de me confier à elle. Mais la raison pour laquelle je semblais tellement attaché à elle, c'était parce qu'elle avait ce caractère de cochon à mourir de rire, parce qu'elle avait une façon bien singulière de me provoquer et que d'une façon ou d'une autre elle parvenait toujours à ses fins. Je ne savais pas combien de temps il me restait jusqu'à temps qu'on me bipe à nouveau - les joies de la médecine - mais je voulais tout de même rentrer, faire un tour chez Lena. Je ne pris même pas la peine de la prévenir, je tentais le tout pour le tout. Si elle était là, eh bien tant mieux, si elle ne l'était pas, ou pas disponible, je n'allais pas l'embêter, je rentrerais juste chez moi, dormir un peu, voir ce que faisait Lila. En tout cas, je pris soin d'aller louer quelques films auparavant. De toute façon, j'étais sûr qu'ils serviraient, si ce n'est pas à Lena, à quelqu'un d'autre.

Heureusement pour moi, l'hôpital n'était pas loin de l'immeuble. L'avantage, c'était que j'arrivais souvent premiers sur les lieux lorsqu'on avait besoin de moi et j'étais favorisé lorsqu'il fallait aller au bloc. Même si j'étais l'heureux propriétaire d'une voiture, je préférais y aller en métro, évitant ainsi tous les bouchons habituels présents aux heures de pointe à Boston comme dans n'importe quelle autre grande ville. L'hôpital n'était qu'à une station, accompagné de quelques mètres à pieds, je mettais tout au plus une quinzaine de minutes. Lorsque j'arrivais dans le hall de l'immeuble, je fus surpris de la rapidité avec laquelle j'appuyais sur le bouton de l'étage que je voulais. D'accord, il m'arrivait souvent de rendre visite à Lena, mais je doutais que le fait d'habiter dans la même résidence favorisait ce geste que je pratiquais maintenant avec une telle facilité. J'aurais pu le faire en fermant les yeux tellement il m'était devenu habituel. Devant la porte, je frappais quelques coups, pas de réponse. « Lena ? Si tu ne viens pas ouvrir, j'espère que c'est parce que tu es sous la douche ! » je tentais de ne pas trop porter ma voix, je savais à quel point les voisins pouvaient être curieux et avides de nouveaux ragots. En tâtant mes poches, je me souvins finalement que j'avais les clés de chez elle. Je savais que Lena était là parce que j'entendais des bruits... plus ou moins curieux mais j'ignorais pourquoi elle ne venait pas m'ouvrir. Doucement, je fis tourner la clé dans la serrure avant de pousser la porte d'entrée doucement, pour y découvrir Lena dans une position des plus surprenantes. Quoi que pas tant que ça finalement, quand on la connaissait. Mademoiselle jouait à la Wii, sautillant partout sur place, à moitié vêtue. « Salut, ma belle. » Je restais sur le pas de la porte, attendant qu'elle se retourne finalement vers moi, m'appuyant sur le chambranle en souriant, mi-moqueur mi-impressionné. « T'es libre, ce soir ? » terminais-je en brandissant les quelques DVD que je venais tout juste de louer, ainsi qu'un sachet de popcorn que j'avais pris pour l'occasion.

Avant d'ouvrir la porte, je m'étais déjà imaginer la rejoindre sous la douche. Quelle perspective intéressante ! Enfin le spectacle qu'elle m'avait offert à peine entré n'avait pas été des plus désagréables. J'adorais la façon qu'elle avait de se concentrer lorsqu'on en venait à jouer à cette simple console, à la façon dont plus rien n'avait d'importance une fois qu'elle commençait à jouer. Ca... Et puis la voir sautiller partout comme une gamine était juste hilarant. Comme si la voir sauter et courir sur place étaient plus en mesure de la faire gagner. J'aurais presque pu me sentir délaissé si elle n'avait pas couru vers moi une fois sa partie terminée. Je la gardais un instant dans mes bras, l'embrassant sur la joue, avant d'enfin entrer dans l'appartement, tâchant de refermer la porte derrière moi. « Si c'est pour toi mon Swann, je suis totalement libre ! » « J'espère bien ! Tu peux dire à tes autres prétendants d'aller se faire voir, ce soir, tu es à moi. » A mon habitude, je me dirigeais vers la cuisine, enfournait le paquet tout prêt de popcorn à l'intérieur avant de revenir m'installer dans le salon. Chez elle, c'était un peu chez moi, quand on y pensait. Et de même, chez moi c'était chez elle. On passait tellement de temps ensemble, qu'on ne faisait parfois plus la différence. C'était ça, que j'aimais. Et tandis que Lena s'acharnait à faire chauffer les pizzas, installait les couvertures, moi je préparais le popcorn et les boissons. Je lui laissais le soin de choisir le film, comme à notre habitude. C'était ça, notre arrangement. Je faisais une sélection de trois films, et elle choisissait parmi ceux-là. « Dis, tu vas pas être appelé à n'importe quel moment rassures-moi ? Car je te veux pour moi cette nuit aussi. » « Hmm, des avances ? J'accepte ! » Évidemment, je le prenais à la rigolade, même si j'espérais, tout comme elle, pouvoir rester la nuit avec elle. C'était ça, d'être interne. C'était ce que j'avais toujours voulu faire et pourtant les horaires étaient à chier. On avait jamais une minute pour soi. Et quand c'était le cas, c'était toujours dans l'attente d'être bipé au moment le moins opportun. On ne mit pas plus longtemps à tout préparer. Très vite, on s'installa, et comme à son habitude je la laissais se blottir contre moi, passant un bras autour de ses épaules. Le film commençait à peine, pourtant j'avais un étrange pressentiment. « Pitié, dis-moi que tu n'as pas choisi le film de merde que j'ai pris pour ne pas que tu dises que je choisisse le film en fonction de mes goûts... » Je grimaçais doucement, alors qu'elle riait, cette idiote. Moi, je ne voulais pas passer les deux prochaines heures de ma vie à regarder un navet !

Voilà une soirée comme j'aimais en passer. Bon d'accord, j'étais ce genre de gars, complètement accro à toutes les addictions. Alcool, sexe, musique et j'en passe, ce genre d'ambiances à en devenir fou et à se réveiller avec une gueule de bois monumentale, dans un lit qui ne vous appartient même pas. C'était comme ça, j'avais une passion pour tout ce qui relevait du domaine de foutre ma vie en l'air. Rien à foutre des docteurs, rien à foutre l'hôpital, moi, j'étais vivant, j'étais jeune. Même si au fond, j'étais vide, je ne voulais pas passer à côté de toutes ces choses. Mais parfois, oui parfois ça faisait du bien de passer une soirée tranquille. Loin de tout, loin des soucis, loin de l'hôpital. Lena, c'était le remède parfait. Lena savait me redonner le sourire, Lena était juste parfaite pour moi. Pourquoi je n'étais pas tombé amoureux d'elle, alors ? Peut-être parce que lorsque nous nous sommes rencontrées, mon cœur était déjà pris ? Et même s'il l'est toujours, ça ne m'avait pas empêché de passer mes nuits avec elle. Lena m'avait bien fait comprendre qu'elle n'était pas une fille de substitution, qu'elle n'était pas une simple fille avec qui on couche puis qu'on jette le lendemain. Lena, ce n'était juste pas n'importe qui. Je l'avais compris au fil du temps qu'on avait passé ensemble. La première nuit avait été suivie d'une seconde, puis d'une troisième, et on ne s'était plus quittés. C'est là que j'avais compris. Lena n'était pas Sasha. Peu importe aussi fort que j'avais voulu la remplacer, elles étaient totalement différentes. C'était ce qui me plaisait chez Lena, en fin de compte. Puis finalement, j'avais cessé de les comparer, j'avais appris à la connaître. « Dis, ça te tenterait pas qu'on aille se coucher. » Typiquement Lena. Un sourire malicieux s'installa, évidemment je ne pouvais pas refuser une pareille proposition ! « Le mec dans le film meurt à la fin, et la fille reste. Elle va même avoir un gosse. » Juste quand j'allais répondre "mais on a pas vu la fin !". Elle me connaissait aussi bien que moi. Je laissais mon dos se courber, exactement comme quand je faisais semblant de bouder. D'ailleurs, c'était exactement ce que j'étais en train de faire : je boudais. Parce que je savais qu'elle m'embrassait toujours doucement pour se faire pardonner, et parce qu'elle savait que je craquais à chaque fois. D'ailleurs, c'était pas bien compliqué. Je la laissais faire doucement., à contre coeur. « Tu sauras toujours m'amadouer, Lena Fields. » Je souris à mon tour, l'embrassant à nouveau. Plus ardemment cette fois, la basculant sur le canapé. Évidemment je commençais à imaginer la suite de la soirée avec hâte, jusqu'à ce que ça main me rejette sur le côté brisant ainsi tous mes espoirs. « Je te déteste » grognais-je dans un soupir en me laissant tomber sur le canapé tandis qu'elle se relevait. Je n'étais pas fâché, elle le savait bien, d'ailleurs je crois bien qu'elle aimait secrètement se faire désirer de la sorte. C'était ça, Lena. C'était comme ça qu'on était. Et le pire de tout, je crois qu'on aimait ça.

« Si Luke ou Epiphanie nous voyaient, je suis dans le caca complet, tu comprends ? » Je grimaçais, imaginant tout de même la scène ce qui finit par me faire rire. Ca aurait été gênant sur le coup, c'était sûr, mais on aurait tous finit par en rire. Quoi que Lena aurait certainement eu honte jusqu'au dernier de ses jours, mais au moins, on se serait souvenus de nous dans la plus belle des manières ! Et Dieu sait par quelle image. Elle me tendit doucement la main alors que je continuais de bouder. « Qu'ils viennent, ils auraient été jaloux de nous. » J'attrapais sa main, tentant de la faire revenir sur le canapé alors qu'elle me tirait de son côté pour que je me lève enfin. Je m'exécutais finalement non sans un soupir, alors qu'elle éteignit soudain notre seul éclairage. « Tu me suis ? » Un simple hochement de tête, j'ignorais si elle l'avait remarqué mais ce n'était pas comme si je pouvais refuser. Dans le noir complet, mes yeux s'habituaient lentement à l'obscurité et je ne distinguais pas encore la faible lumière du couloir de l'immeuble qui passait sous la porte d'entrée. Lena m'avait lâché la main et je ne savais pas où elle était, quoi que je doutais bien qu'elle était en route pour la chambre. Je traversais le long couloir, je n'entendais plus rien. « Lena, qu'est-ce que tu fous merde ? T'es où ? » Je chuchotais, aucune réponse. Une voix, plus lointaine, sûrement dans une autre pièce, s'était fait entendre. Un peu comme quand elle s'énervait après la télécommande, bien que cette fois-ci c'était parce qu'elle s'était perdue... dans son propre logement. Lena tout craché. On aura vraiment tout vu. Je ricanais doucement alors que je me rapprochais de l'endroit d'où la voix provenait, avant de distinguer tout de même les formes de sa fine silhouette. « Swann... Réponds moi, c'est flippant, je me suis paumée dans mon appartement, je sais plus où je suis là ! » Je m'approchais sans un bruit, l'attrapant soudainement pour la plaquer doucement contre le mur le plus proche. « C'est vraiment pas drôle, c'était flippant ! » Et alors qu'elle criait après moi, qu'elle râlait d'avoir eu peur, moi, je me contentais de l'embrasser, encore et encore jusqu'à ce qu'elle cède enfin. « La chambre me semble si loiiiiin à présent » Néanmoins je nous conduisis jusqu'à celle-ci, sans même lâcher ses lèvres une seconde si ce n'était pour reprendre nos souffles. C'était dans des moments comme ça que je prenais conscience à quel point ma relation avec Lena était unique. Jamais auparavant je n'avais vécu ce genre de choses avec quelqu'un d'autre, c'était comme être liés. On ne comprenait parfois sans parler, on riait parfois sans savoir pourquoi. Mais ce que j'avais avec Lena était bien plus fort, je le sentais. Je ne me prenais pas la tête avec elle, c'en était pareil pour elle je suppose. On était un couple sans en être un. On était un couple, l'amour en moins. Cela n'empêchait pas d'éprouver pour l'autre une amitié profonde, une amitié plus forte que tout. Alors que nous arrivions dans la chambre, nous basculions enfin sur le lit ce qui provoqua nos rires, alors que j'entreprenais doucement d'enlever ses vêtements. Seulement, je ne pouvais pas me passer de ses lèvres, mêmes lèvres que j'avais embrassées à longueur de journées pendant ces deux dernières années.