Depuis que j'avais Lila près de moi, je sentais ce vide tout au fond de moi se combler un peu. Ce vide étrange, qui m'occupait, me hantait chaque heure du jour et de la nuit, qui venait du plus profond de moi, alors que je prétendais aller bien. Je ne savais pas d'où il pouvait provenir - j'en avais bien une petite idée mais sa simple pensée rendait les choses impossibles - mais chaque jour il prenait une plus grosse part de moi, me faisant devenir tout autre. Autant ne pas se voiler la face, je n'étais que l'ombre de moi-même. Un fantôme. Plus personne, en d'autres mots. Mais peu importait, je n'avais plus confiance en personne et chacune de mes connaissances était un peu comme une menace. Comme si la moindre personne qui m'approchait risquer de me vider encore un peu plus, comme elle l'avait si bien fait. Elle, Sasha. Mais je m'interdisais d'y penser, il fallait mieux. Ça fait deux ans, maintenant, il fallait tourner la page. Elle avait dû le faire, elle. Même si deux ans, ne sont rien comparé à toute notre vie qu'on a passé ensemble. Moi, je me relevais doucement, comme je le pouvais, même si au fond je savais que c'était impossible. je passais mon temps à faire un peu n'importe quoi. Boire jusqu'à en perdre la raison. Vivre la nuit, dormir le jour. Foirant complètement mon programme de médecine. Couchant à droite, à gauche. Plus rien n'avait d'importance, parce qu'on m'avait pris la seule raison qui me permettait d'avancer. Et ça, jamais je ne le pardonnerai. Pourtant, la simple présence de ma sœur dans l'appartement me remontait le moral, comblait ma solitude. Elle n'avait pas toujours été un ange et pourtant j'avais la conviction que nous étions plus soudés que jamais. Je crois qu'au fond, ce qui m'a fait un choc, c'était de la retrouver dans cette pièce, cachée dans un coin, plus vulnérable que jamais. J'aurais bien tué celui qui lui avait ça, qui avait eu le culot de la foutre en cloque et de la frapper. Et la voir comme ça, vivre malgré tout, se relever, le sourire aux lèvres, c'était elle qui me donnait le courage de me lever le matin. Parce que pour ma sœur, j'aurais réellement fait n'importe quoi.

C'était ma journée de repos depuis bien longtemps, aujourd'hui. Je m'étais levé sans même regarder le réveil, le temps n'avait plus d'importance quand on était interne. On vivait à n'importe quelle heure de la journée et on dormait quand on le pouvait. Et d'un automatisme presque déprimant, je m'étais dirigé vers la salle de bain, ne rêvant que d'une bonne douche. Ce n'est qu'après m'être enfilé ma dose de café que je décidais de regarder mon téléphone. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, mais y trouvais un texto de Lila. Du chinois ? Bien sûr que j'étais partant. Je n'avais pas tellement faim, mais bon, pour du chinois, je pouvais bien faire un effort. Je venais tout juste de tapoter quelques touches sur le clavier que j'entendis la porte s'ouvrir. Finalement, elle ne m'avait pas attendue. Sans attendre elle me sauta au cou, et encore une fois j'étais très étonnée de la voir si pétillante. Enfin c'était toujours mieux qu'autre chose. Je la serrais dans mes bras quelques instants avant d'enfin lâcher prise, alors qu'elle me pressait pour le déjeuner.

« Oui, est-ce que tu veux que j'installe tout dans le salon ? On pourrait manger devant un DVD. » Dis-je tout en sortant du frigo une bière et un soda que je tendis à Lila. En temps normal je lui aurait pris une bière également, mais dans son état, avec ce petit bébé qui poussait à l'intérieur de son corps, c'était tout simplement hors de question. « Pas d'alcool pour toi blondie, je ne veux pas que mon neveu soit un alcoolo dès sa naissance. » Bon, d'accord. Lila ne connaissait pas encore le sexe de son bébé, mais je sentais que ça allait être un garçon. C'était obligé, non ? Pour faire honneur à la famille Malween. Mais au fond, un garçon ou une fille, peu importait, je savais déjà que la vie de ce bébé serait parfaite. Parce que sa mère était la femme la plus courageuse du monde, et puis que son tonton Swann serait toujours là pour lui apprendre toutes les conneries, histoire de rendre sa maman folle.

« Et si tu n'existais pas,
Dis-moi comment j'existerais ? »

Honnêtement, avec ce que j’avais vécu, les films à l’eau de rose où tout est beau, me donnais envie de pleurer plutôt qu’autre chose. C’était la raison principale pour laquelle je refusais de catégoriquement de voir ce genre de film. Même Titanic, ou Dirty Dancing. Mes films préférés quand j’étais plus jeune, j’avais aujourd’hui trop mal pour les regarder. Swann, lui si ma mémoire était bonne n’avait jamais aimé ce genre de film. Ce qui au fond n’était pas plus mal. Au moins, il m’empêchait de les regarder. « Plutôt mourir, oui. » cette remarque me rire. L’avantage avec mon frère c’est qu’il avait toujours le mot ou la remarque pour me faire sourire. Ou même pour me faire rire. Rien que ça, ça m’aidait à aller mieux. Même sa simple présence m’aidait. Je ne sais pas s’il en avait conscience. Mais en tout cas, tout ce que j’avais aujourd’hui, je le lui devais. C’était grâce à lui et à lui seul si ma vie reprenait un cours normal. Si j’arrivais à sourire de nouveau, à sortir sans avoir peur du regard des gens, à refaire peu à peu confiance aux gens. Tout ça c’était grâce à lui. Enfin, faire à nouveau confiance aux gens, c’était pas encore tout a fait ça. J’avais confiance en mon frère. Normal. Mais j’avais du mal à faire confiance aux nouvelles personnes que je rencontrais. Comme ce garçon que j’avais rencontré un jour en rentrant des courses et qui m’avait proposé son aide. Luke je crois. Il était bien gentil. On avait discuté pendant un moment même, et on s’était revu et parler à nouveau. Il avait l’air de quelqu’un en qui on pouvait avoir confiance, pourtant moi je n’y arrivais pas. D’ailleurs, je n’en avais pas encore parlé à Swann, de cette rencontre. Sans doute qu’il le connaissait. Puisqu’il connaissait quasiment tout le monde dans l’immeuble. Ou mieux, il connaissait tout le monde. Contrairement à ce que j’étais devenue, Swann était du genre très sociable. J’étais comme lui avant. Sauf que maintenant ce n’est plus le cas.

« J'ai un don pour ça tu sais. Je sais flairer les futurs p'tits mecs à des kilomètres. » Oui enfin, moi je préfèrerais avoir une fille. C’était plus facile de jouer à la poupée avec une fille a qu’avec un garçon. « Mouais. On parie ? Moi je suis sure que ce sera une fille ! » J’aimais bien parier des choses avec mon frère, et j’avais toujours aimé ça. Surtout quand j’avais raison. Bon, là ça se résumait un peu à jouer à pile ou face. Mais peut importe. De toute façon, on ne pariait jamais rien d’important, donc je ne risquais pas grand-chose. « Décidément ma pauvre, tu as la mort dans l'âme. Tu préfères peut-être un yaourt au soja ? Noooon, je crois que ce qui te tente le plus...» Oui, je commençais à croire qu’il avait raison. Pas de bière, encore moins d’alcool, pas de sodas bourrés de sucre. Machinalement je grimaçais à l’évocation du yaourt au soja. Beurk. Je préfère encore manger que de la salade qu’un yaourt au soja ! « Du lait à la menthe ! Oui, c'est exactement ce dont tu as besoin. C'est bon pour le bébé, tu comprends. » Ma grimace s’accentua. Du lait à la menthe, il est sérieux là ?! « Euuh, je crois que je vais rester à l’eau. C’est le mieux pour nous deux » ajoutais-je en regardant mon ventre. Je pris donc la bouteille d’eau et un plat à amener au salon. « Ah je t’ai pas dis, j’ai rencontré un gars l’autre jour en rentrant des courses, Luke je crois. Enfin quand je lui ai dit qui j’étais il m’a dit de t’envoyer le bonjour ! » Dis-je tout en amenant d’autres plats. Je sais, j’avais une mémoire de poisson rouge. Inutile de vous dire que je ne me souvenais pas du nom de famille de ce fameux Luke. Puis, je vis que Swann était en train de lancer le film. J’espérais qu’il en avait choisi un bon. « Tu as choisi quoi comme film ? » Demandais-je en m’affalant sur le canapé.

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